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qui restent encore de la forge de Rikke-tikke-tak, il les examinait avec émotion. Vous l’avez sans doute remarqué, et puis son parler campinois, son adresse à forger, et surtout sa chanson !... Oui, oui, c’est un garçon de notre village... Qui dirait cela ? un colonel !...

Tandis qu’on continuait à la forge de raisonner sur Karl Rikke-tikke-tak, les deux étrangers étaient allés à l’auberge de la Couronne, avaient mis leurs chevaux à l’écurie, et pris eux-mêmes quelque nourriture; après quoi le colonel quitta seul l’auberge, suivit à pied la grande route et alla frapper à la porte du secrétaire de la commune. Il fut introduit dans une petite chambre à part, et attendit assez longtemps avant que le secrétaire revînt des champs et ouvrît la porte de la chambre avec une profonde et cérémonieuse révérence, en disant : — Monsieur le colonel van Milgem, je suis votre très humble serviteur. Pardonnez-moi si...

Le colonel coupa court à ses politesses en lui prenant affectueusement la main.

— Eh bien! mon ami, lui dit-il, qu’avez-vous appris ? Ma fille est-elle découverte ?

— Non, monsieur le colonel, pas encore, répondit tristement le secrétaire.

— Malheur! s’écria l’officier en se frappant le front avec découragement, faudrait-il donc renoncer à tout espoir ?

— Monsieur le colonel, reprit le secrétaire, veuillez écouter mes explications, et vous verrez que, loin que nous devions perdre tout espoir, nous sommes vraisemblablement près de découvrir la vérité. Lors de votre dernière visite, vous m’avez laissé assez d’argent pour ne rien épargner en recherches, et croyez que je n’ai rien négligé pour me rendre digne de votre bienveillance et mériter les mille francs que vous m’avez promis. Voici ce que j’ai appris. Lorsque Karl van Milgem (ici le secrétaire s’inclina profondément devant le colonel) s’éloigna de Westmal avec son enfant âgée de quatre ans, il ne dit à personne où il avait l’intention d’aller; peut-être l’ignorait-il lui-même. J’ai appris ensuite par vous, et mes recherches ont confirmé vos renseignemens, qu’à Weelde, au-dessus de Turnhout, il confia son enfant à un vieux maître d’école, un certain Pierre Driessens qui vivait avec sa femme, en dehors du village, dans l’isolement et à l’écart. Karl van Milgem avait donné au père nourricier de son enfant une petite cassette en fer où était renfermé le prix de la vente de sa forge, cassette que les deux vieilles gens étaient autorisés à ouvrir en cas de besoin, afin que ni l’enfant ni eux-mêmes ne vinssent à manquer de rien. Karl van Milgem gagna ensuite la Hollande, où, selon l’opinion générale, il a dû prendre du service sous les ordres du général français Pichegru. Toujours est-il que depuis ce