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de quinze années, grand pour notre âge mortel, comme dit Tacite, mais bien court dans la vie d’un peuple, l’ordre chronologique occupe peu de place; tous ces flots d’idées en effet furent presque simultanés.

Presque à la même date, dans le même mois ou dans la même année, on vit le zèle anti-révolutionnaire se reporter jusqu’à l’esprit ultramontain, embrasser jusqu’au moyen âge dans son culte du pouvoir et invoquer ce pouvoir sous un symbole non-seulement absolu, mais infaillible; puis on entendait l’imagination féodale et constitutionnelle de M. de Chateaubriand idolâtrer les souvenirs de la monarchie chevaleresque, mais les déclarer éteints et ensevelis, et recommander l’adoption rigoureuse du système anglais, la responsabilité des ministres, le gouvernement de la majorité, le jury, la liberté de la presse; puis, encore, sous la garantie de ce droit nouveau ainsi réclamé et toujours plus ou moins appliqué, on accueillait les brochures théoriques et piquantes de Benjamin Constant, les écrits abstraitement libéraux de quelques publicistes, et enfin les chansons tour à tour épicuriennes, guerrières ou démocratiques échappées à la verve savante de Béranger.

Par un contraste de plus, à côté de cette poésie, voltairienne d’origine, mais armée d’un surcroit de malice hardie, plus travaillée dans la forme, plus populaire pour le but, il se faisait entendre, comme le Carmen sœculare d’une époque nouvelle, une poésie tout empreinte de religion, de mélancolie, d’harmonie, attendrissant la foi divine et sanctifiant l’amour humain. M. de Lamartine se levait à l’horizon de la chambre de 1815, et inscrivait quelques-unes de ses ineffables mélodies sous les auspices de M. de Bonald, de l’auteur de la Législation primitive, ancien royaliste émigré, si zélé partisan du pouvoir absolu, qu’il l’avait aimé même dans l’empire, et s’était réconcilié avec ce qu’il nommait l’usurpation par sympathie pour la dictature. Mais, on le croira sans peine, une liaison exacte, une filiation secrète, a besoin d’être retrouvée entre ces mille rameaux de la pensée publique qui se développèrent sous la liberté de la restauration, et à la faveur même des passions qu’elle heurtait ou qu’elle excitait.

En cela, la pénétration du nouvel historien littéraire de la restauration ne pouvait faire défaut. Il réussit en effet à rechercher, à décrire les caractères d’une opinion, d’une tradition, d’un parti, puis à en suivre le contre-coup dans les œuvres de l’art et à en marquer l’influence. Pour cela, il a dû, comme nous le ferons nous-même ici, remonter plus haut, car tout se tient dans l’ordre des idées, et c’est aux treize années du consulat et de l’empire qu’il faut demander en partie l’origine du mouvement intellectuel de la