Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/590

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vainqueur, et préconisé en lui le démonstrateur armé de la fragilité d’une monarchie sans principes moraux, fondée par un roi sceptique, comme si l’empire français d’alors, étayé sur l’incohérent amalgame de doctrines révolutionnaires et despotiques, associant à des généralités de tolérance et de philanthropie l’oppression déjà commencée du pape, l’anéantissement de tous les droits publics, et la nécessité ou l’entraînement volontaire d’une guerre perpétuelle, eût été en lui-même constitué plus logiquement et d’une façon plus durable.

Que le nouvel historien de la littérature française sous la restauration veuille donc bien nous permettre ce dissentiment : M. de Bonald nous paraît appartenir, de principes comme de date, beaucoup plus à l’empire qu’à la restauration bien comprise. Il avait adoré et justifié la force; il n’était pas l’homme du droit. Sans doute on doit reconnaître en lui, au prix de quelques paradoxes, un brillant et ingénieux penseur, un écrivain de rare talent; mais comme chef d’école, et, selon la désignation toute favorable que lui donnent ses admirateurs, comme guide d’une époque nouvelle, comme publiciste et moraliste de la restauration, il ne faisait qu’attacher à la royauté rétablie un dangereux symbole de droit divin; il ne travaillait qu’à répandre et à rendre suspectes, sous une forme nouvelle et mystique, ces théories de pouvoir absolu qui, après avoir été brisées par la force et comme foudroyées sur le front de l’homme de génie, semblaient un fâcheux secours et une dangereuse prétention pour le droit héréditaire, reparaissant au nom de l’ordre et de la paix. De tels écrits, sauf la réserve du talent, devaient être assimilés au Patriarcha du chevalier Philmer et aux traités théologiques publiés sous Charles II, à l’appui du gouvernement arbitraire que les Stuarts étaient infatigables à réclamer et impuissans à maintenir.

Il était toutefois dans la nécessité des choses en France qu’une telle opinion s’accrût et gagnât crédit dans les luttes même qu’autorisait la liberté constitutionnelle de la restauration. A M. de Bonald vint se réunir, comme un corps allié de troupes étrangères, le comte de Maistre avec ses Soirées de Saint-Pétersbourg, son idéal mystique et moscovite du pouvoir absolu, son éloge du bourreau, et cette imagination de théoricien despotique dans ses livres, qui cependant nous a laissé découvrir, dans ses lettres familières et posthumes, le plus aimable et le meilleur des hommes.

Là venait encore s’abattre, dans le premier essor de son génie, un homme que tous les vents de l’opinion devaient emporter tour à tour, M. de Lamennais, avec son premier volume de l’Indifférence en matière de religion, M. de Lamennais, alors tout catholique et tout monarchique, mais d’une âme trop vive pour se tenir dans les bornes d’une croyance, et devant bientôt sacrifier la royauté à l’église et