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s’éviter. Par le fait de notre première révolution, si profonde, si destructive; par la durée de l’empire, si guerrier, si dictatorial, «envahissant et confondant les doctrines et les idées comme les territoires[1], » nous ne pouvions pas être un peuple de traditions et de précédens. Loin d’argumenter du passé, il fallait souvent le tenir en suspicion, ou comme imprudemment théorique, ou comme oppressif. Pour régler la liberté de la presse, par exemple, cette conséquence de la civilisation et du droit, qu’on ne peut guère détruire sans en inquiéter plusieurs autres, il est clair qu’on ne devait se contenter ni de telle déclaration de l’assemblée constituante proclamant un principe et ne sachant pas le prémunir contre l’anarchie, ni de tel décret appuyant la censure et le mutisme sur les prisons d’état. Il fallait inaugurer un droit nouveau, promis par la charte de 1814, en assigner le principe, les limites, les abus, et y attacher une procédure de garantie comme de répression. Liberté religieuse, liberté civile, droit public du pays, sauvegardes du gouvernement constitutionnel à l’intérieur, toutes les questions de l’ordre le plus élevé étaient comprises dans ce seul problème de la liberté de la presse, soulevé dès 1814 par MM. Raynouard et Flaugergues, débattu avec tant d’éclat en 1819 par MM. de Serres, Royer-Collard, Camille Jordan, Laine, Barante, le duc de Broglie, et d’autres hommes dignes de présider à la réforme législative d’un grand état.

Sous ce rapport en effet, la tribune parlementaire, issue de la charte de 1814, exerça dès les premières années une grande influence sur l’opinion et les lettres en France et à l’étranger. Ce qui se mêla d’intérêts de parti et d’ardentes passions à l’examen spéculatif n’en diminua pas le grand caractère et la portée morale. La discussion sur la loi d’amnistie en 1816, cette discussion qui touchait à des griefs si récens et à des craintes si vives, donna lieu à la revendication des plus hautes vérités, des plus précieuses garanties dans l’ordre politique et civil.

Les fondemens du droit public, l’indépendance nécessaire des juridictions, la modération des peines, l’illégalité radicale de la confiscation furent mis en lumière avec une évidence irrésistible. Une question d’organisation intérieure, mais d’une importance capitale, l’inamovibilité judiciaire, fut également défendue par M. Royer-Collard avec un admirable ascendant de raison et d’éloquence, devant tous les griefs, tous les prétextes et tous les intérêts ardens d’une restauration à pine affermie, tandis que M. de Chateaubriand soutenait avec passion la thèse contraire à la tribune et dans les recueils polémiques. Nul doute qu’entre de tels antagonistes et sur de tels

  1. Discours de M. Royer-Collard, 1817.