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eut plus à souffrir de ses soupçons que de ses périls, et fut plus compromise par ses fautes que par ses ennemis, quoiqu’elle courût en effet de réels périls, et qu’elle eût des ennemis naturels. Ainsi, par exemple, les belles leçons de M. Cousin, dans sa première ferveur philosophique, ces leçons éclatantes du plus pur spiritualisme auraient dû plaire, au lieu d’effaroucher. Elles n’offraient rien qui ne fût salutaire au cœur de la jeunesse, et elles inauguraient avec une sorte de verve impétueuse, qu’on prit pour un danger, le retour à la saine logique, à la méthode supérieure et aux plus pures traditions de la grande philosophie, de sorte que, même à tant d’années de distance, un habile critique, en appréciant aujourd’hui à toute sa valeur littéraire cette parole militante de l’enseignement dans une société mobile. et renouvelée, semble avoir gardé quelque chose des préventions qu’elle rencontra jadis.

Ce n’est pas de notre part zèle universitaire ni regret exagéré sur l’état présent d’une création, la plus belle et la plus prévoyante de l’empire; mais, en vérité, sommes-nous arrivés de révolution en révolution jusqu’en 1854 pour que des hommes de savoir et de talent répètent[1] sans le blâmer un conte qu’en 1822 avait recueilli l’imagination ardente de M. l’abbé de Lamennais ? Quelqu’un de sensé croira-t-il, comme le récite M. de Lamennais, qu’à cette époque ou même que jamais, dans un collège royal qu’on a soin de ne pas nommer, trente élèves (des philosophes et des rhétoriciens sans doute), admis à la communion, à laquelle personne n’était obligé, s’étaient entendus pour extraire et réserver les hosties qu’ils avaient reçues devant l’autel et en cacheter le soir ou le lendemain les lettres qu’ils écrivaient à leurs parens ? Quoi! cette fable absurde, ce sacrilège sans nom et sans prétexte, dont nulle enquête sous M. de Corbière et M. d’Hermopolis ne put découvrir la moindre trace, vous daignez la redire, parce que la crédulité la plus aveugle l’a fait imprimer une fois! Vous n’y reconnaissez pas tout d’abord ce caractère du mensonge politique ou religieux qui se sert de la publicité et encore mieux du silence imposé, fait son chemin comme il peut, dans un sens ou dans l’autre, arme la passion, justifie l’arbitraire, et sert à ruiner les institutions en calomniant les hommes!

Mais hâtons-nous de sortir de ces bas-fonds du sujet instructif que présente l’histoire littéraire de la restauration; laissons les misères et les fables de la polémique contemporaine, pour nous attacher au beau mouvement de curiosité savante, de critique et de poésie qui ranima l’esprit français et fit succéder à l’effroi silencieux et aux préventions européennes qu’avait excités l’empire l’ascendant rénovateur en

  1. Histoire de la Littérature française sous la restauration, t. II.