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Nous ne prétendons pas du reste indiquer ici tout ce que dans le cadre de son ouvrage, et comme il le dit en style du jour, dans le bilan intellectuel de la restauration, M. Nettement a renfermé d’aperçus ingénieux, de sages avis, d’enseignemens moraux, et aussi parfois d’approbations ou de sévérités contestables. Il n’est pas besoin de repasser ici tous les noms bien nombreux qu’il a cités; mais il est plus à propos de rappeler ou de compléter quelques souvenirs dont l’omission ou l’insuffisance nous. a frappés. Il en est un surtout qui, dans l’ordre purement spéculatif et littéraire, nous paraissait mériter plus d’attention. Ce souvenir, c’est celui d’une feuille toute philosophique et toute critique, le Globe, publiée pendant plusieurs années de la restauration, et qui eut grande influence sur les jeunes écoles d’alors. C’était justice de faire, dans une revue littéraire des quinze ans de la restauration, une grande part aux journaux. On mit là, en France, un luxe de talent dont se passe ordinairement le journalisme anglais. La verve, l’éclat de Sheridan ou de l’anonyme Junius, resté classique dans la libre Angleterre, reparaissait chez nous dans les colonnes d’un journal du matin.

A la vérité, ceux de ces articles qui saisirent d’abord le public étaient de M. de Chateaubriand lui-même dans toute la force de son talent et de son dépit; mais bien d’autres articles suivirent ce prélude, ou s’y mêlaient, échappés à des talens sortis fraîchement alors de l’école militaire ou du lycée, MM. de Rémusat, Saint-Marc Girardin, de Salvandy, et souvent on aurait eu peine à distinguer le maître des élèves, et la colère du ministre déchu de la verve piquante et libre du jeune aspirant à la renommée.

M. Saint-Marc Girardin, dans un travail académique, occupation innocente par laquelle il couvrait un peu ses vives hardiesses de publiciste, M. Saint-Marc Girardin, esquissant avec talent le tableau littéraire du XVIe siècle, ce temps de grande polémique aussi, a com- paré tous ces pamphlets morts, qui avaient si fort retenti dans leurs jours de combat, aux ossemens desséchés que le mélancolique Hamlet passe en revue dans un cimetière. «Quel silence après tant de fracas! quelle cendre éteinte est restée de cette flamme ! quelle tristesse de tout cet éclat de gaieté! Hélas! pauvre Yorick, bon compagnon, d’un esprit infini, d’une admirable fantaisie, où sont maintenant vos jeux, vos accens si vifs, vos éclairs d’ironie qui mettaient tout un public en rumeur ?» Cette double image de la presse vivante et de la presse morte, de l’action présente du pamphlet religieux et politique, ou de sa lointaine réminiscence, était, nous le croyons, beaucoup trop modeste, et elle ne marquait pas assez la vitalité durable que conserve le talent du polémiste, surtout quand aux personnalités qui s’oublient et aux intérêts qui pussent il a mêlé ces accens de justice