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ville de Samarie. En présence de pareils faits, comment croire que Jérusalem seule aurait été déclarée impure à perpétuité, ainsi qu’on l’affirme, en conservant dans son acropole le corps de son fondateur et de son prophète ? Ce serait là assurément une étrange loi d’impureté; mais non, cette loi n’existe point, si ce n’est dans l’imagination de ceux qui prétendent que toutes les fois qu’on lit dans la Bible qu’un roi de Juda fut enterré dans la ville de David, cela signifie qu’on l’enterra hors de la ville de David.

M. de Saulcy est-il mieux fondé dans ses appréciations sur le caractère architectural du tombeau des rois ? M. de Chateaubriand en a esquissé l’ornementation avec cette précision singulière, l’une des grandes qualités de son style, qualité assez rare chez les hommes d’imagination : « Au centre de la muraille du midi, vous apercevez une grande porte carrée d’ordre dorique, creusée de plusieurs pieds de profondeur dans le roc; une frise un peu capricieuse, mais d’une délicatesse exquise, est sculptée au-dessus de la porte. C’est d’abord un triglyphe suivi d’une métope ornée d’un simple anneau; ensuite vient une grappe de raisin entre deux couronnes et deux patères. A dix-huit pouces de cette frise règne un feuillage entremêlé de pommes de pin. » Écoutons un autre voyageur, le docteur Robinson, l’auteur du meilleur livre sur la Judée, comme M. de Saulcy s’empresse loyalement de le reconnaître : «Ce roc est élégamment sculpté, mais il est de la dernière époque de l’art chez les Romains, in the latter Roman style. Au centre du portique, on a représenté de larges grappes de raisin entre des guirlandes de fleurs, mêlées de chapiteaux corinthiens[1]

C’est dans ce tombeau que M. de Chateaubriand comparait à des bains d’architecture romaine, c’est dans ce riche échantillon de l’abaissement du génie de la Grèce que M. de Saulcy croit avoir retrouvé un merveilleux spécimen d’architecture hébraïque, un édifice contemporain d’Homère, plus vieux que les plus archaïques des monumens grecs, et qui porte sur son front une de ces dates effrayantes dont l’Egypte a le privilège, la date de mille ans avant Jésus-Christ ! Comment M. de Saulcy a-t-il été amené à proclamer cette nouveauté hardie ? Voilà ce qu’il faut examiner. Pendant son excursion autour de la Mer-Morte, il a trouvé sur sa route, dans le pays de Moab, un chapiteau d’une facture assez étrange. «Un pareil chapiteau, dit-il, n’a qu’une analogie fort éloignée avec le chapiteau ionique, et ceux qui l’ont taillé étaient à coup sûr de véritables sauvages qui ont plus probablement précédé que suivi les artistes grecs auxquels nous devons les belles proportions de l’ordre ionique. » La vue de ce chapiteau sur le sol arabe, au milieu de ruines que M. de Saulcy considère a priori comme antérieures aux civilisations grecque et romaine, paraît avoir été pour le savant voyageur un véritable trait de lumière. De là découle en grande partie sa théorie si neuve sur l’architecture hébraïque en général, dont il nous a donné un aperçu en traitant de l’origine du tombeau des rois : « Il n’est pas douteux, dit-il, que le rocher dans lequel est taillé le vestibule des Qbour-el-Molouk n’offre des triglyphes et des patères, de plus les moulures dont la corniche est surchargée ont bien l’élégance des moulures grecques; mais qui pourrait affirmer que les ordres dorique et ionique sont d’invention grecque ? » Qui pourrait affirmer,

  1. Biblical Research, in Palestine, t. II, p. 529.