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le lac Asphaltite et le lac Sirbon, lequel est en Égypte, non loin d’Arsinoé.

Nous ne nous arrêterons pas au témoignage de Tacite, qui fait mention de grandes villes maintenant réduites en cendres par la foudre, et dont il reste des vestiges. N’oublions pas que c’est ce même Tacite qui fait venir les Juifs du mont Ida, attendu que c’est de cette montagne qu’ils tirent leur nom[1]. Qu’il nous suffise, avant d’arriver à Josèphe, de constater qu’à l’exception de Strabon et de Tacite, il n’est pas un seul auteur profane, parmi ceux qui ont parlé du lac Asphaltite, qui vienne fournir un témoignage contre la submersion de la Pentapole. Pausanias, Justin, Pline, oui Pline lui-même, si abondant en renseignemens de toute espèce, gardent sur ce point le silence le plus éloquent. C’est donc Josèphe surtout qui doit nous occuper ; c’est lui qui est invoqué en ce débat comme l’autorité la plus respectable. Or voici qui est assez étrange : Josèphe, qui nous annonce, dans son Histoire des Juifs, que la Sodomitide est voisine du lac Asphaltite, et qu’on peut y voir encore « les ombres des cinq villes[2], » dans ses Antiquités judaïques s’exprime ainsi : « Cette région fertile a disparu[3]. » Et un peu plus loin : « Il y avait dans ce lieu des sources ; mais aujourd’hui que la ville de Sodome a disparu, la vallée se trouve occupée par le lac Asphaltite. » Nous demandons lequel il faut croire, de l’historien ou de l’antiquaire ? Pour ma part, je crois pouvoir accorder plus de confiance à l’antiquaire. S’il est vrai que Josèphe est un guide un peu dangereux, contre lequel, depuis longtemps, la critique prend ses précautions ; s’il s’est fait tort dans l’esprit de ceux qui sont ses juges naturels en matière d’archéologie sacrée, parce qu’il donne aux récits qu’il tire de la Genèse un faux air classique, il n’en est pas moins vrai que ses Antiquités attestent une plus grande maturité, des recherches plus approfondies ; que c’est son dernier mot, ou plutôt un effort suprême pour retrouver les titres de la nation Juive et marquer sa place au milieu des gentils. Du reste, l’opinion de Josèphe sur la disparition des villes coupables se trouve confirmée par un savant géographe de la fin du ve siècle, par Etienne de Byzance, qui, parlant de Sodome, s’exprime ainsi : « Elle était la métropole de dix cités qui furent ensevelies dans le lac Asphaltite. »

Il est impossible, on le voit, de tirer des écrivains sacrés et profanes des preuves suffisantes à l’appui de l’opinion que M. de Saulcy cherche à faire prévaloir. Les souvenirs de son voyage seront-ils plus concluans ? C’est à la pointe nord de la montagne de sel que M. de Saulcy aurait retrouvé les ruines de Sodome. Entre tous les voyageurs qui ont passé au pied du promontoire d’Usdom, il est le seul qui ait eu le bonheur de les apercevoir. Seetzen, Irby et Mangles, Robinson et Smith, M. Lynch, qui, dans la relation de son voyage, nous a donné une vue de la montagne de sel, ne paraissent point avoir eu la moindre révélation de ces décombres immenses qui ont si vivement frappé l’attention du savant académicien. Tout ce que le docteur Robinson, passant dans le même endroit, aurait aperçu ne serait rien autre qu’un

  1. Argumentum e nomine petifur, inclytum in Creta Idam montem accolas Idœros, aucto in barbarum cognomento Judœos vocitari.—Histor.
  2. De Bett. Jud, IV, c. 8, 4.
  3. Ant. Jud, I, 6, 8, 3.