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nées et aussi les moins disciplinées de l’empire ottoman, a fourni aux chefs du mouvement concerté le prétexte qu’ils attendaient ; dès lors la presse hellénique ne se contient plus. Des officiers de l’armée, des généraux, des aides de camp du roi se précipitent à la frontière. Sous couleur de ne point engager la responsabilité du gouvernement, ils envoient leur démission avant de violer le territoire turc ; mais le gouvernement, sans afficher officiellement les encouragemens qu’il accorde à l’insurrection de l’Épire, se garde bien de donner à croire qu’il puisse envisager avec défaveur l’entraînement auquel cèdent les esprits.

Il est peu d’époques où l’illuminisme ait fait autant de prosélytes que de notre temps. Cette maladie de l’esprit n’est pas particulière aux philosophes incompris. Ce malheureux roi de Grèce, auquel les circonstances et surtout la défiance des partis ont imposé de si rudes épreuves sur le trône, a cru tout à coup apercevoir l’ombre de la popularité qui lui avait si obstmément échappé jusqu’à ce jour. Le trompeur mirage de Byzance rétablie a frappé son imagination, et, dupe du mysticisme dont son allié le tsar sait s’aider sans s’y asservir, le roi Othon s’est persuadé qu’il est appelé à une mission providentielle, que c’est à lui qu’il appartient de restaurer dans ses anciennes limites la Grèce chrétienne.

À la vérité, les napistes, qui, en tant d’occasions, ont montré leur haine pour un souverain non orthodoxe, et que l’on a surpris plus d’une fois rêvant ou conjurant sa perte, les napistes ne négligent aujourd’hui aucune flatterie pour l’associer à leurs complots. Les déclamations de la presse et quelques manifestations populaires sont venues à leur aide. Une récente représentation de l’opéra des Lombards, à laquelle la cour assistait, a fourni à une foule préoccupée de saisir toutes les allusions plus ou moins directes aux circonstances du moment l’occasion de témoigner son enthousiasme d’une façon assez imprudente. On a poussé quelques cris de vive l’empereur de Byzance. Il s’est produit néanmoins dans cette occasion même un incident de nature à donner à réfléchir au souverain de la Grèce. Au dénoûment de l’opéra, au moment où le prince musulman reçoit le baptême, de nombreux applaudissemens se firent entendre, et en même temps tous les regards se portèrent vers la loge royale, semblant dire au roi et à la reine : « Il faudra bien qu’à votre tour vous en passiez par-là ! » Ainsi les avertissemens viennent mêler l’amertume aux flatteries et éclairer la royauté sur les dangers personnels auxquels elle s’expose en croyant travailler au triomphe de la nationalité hellénique.

Le pays a-t-il plus à gagner à cette crise que la royauté elle-même ? Les napistes ont essayé de discuter l’objection que le bon sens de l’Europe oppose à leurs manœuvres ; mais il n’était pas besoin de la révélation qui résulte des communications confidentielles faites par la Russie à l’Angleterre pour témoigner des intentions du cabinet de Saint-Pétersbourg au sujet de l’avenir rêvé par les Grecs. La Russie a pu coopérer à la fondation de la Grèce, parce qu’elle a pensé qu’un état aussi faible ne pourrait en aucun cas faire obstacle à ses desseins ; mais prêter les mains à la restauration d’un empire de Byzance, la Russie est de tous les états de l’Europe celui qui le peut le moins. La race hellénique, admirablement douée pour les qualités de l’esprit et fière des souvenirs qui se rattachent à son nom, s’entretient volontiers dans