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d’état de la guerre et des colonies, se crut obligé de justifier la permission qu’on avait donnée au duc de Vicence de présenter un contre-projet. Il fit remarquer qu’on avait exigé que ce contre-projet fut conforme en substance aux propositions des alliés, qu’on en avait tiré l’avantage d’obliger l’ennemi à s’expliquer, et que s’il en était résulté un retard de quarante-huit heures, c’était parce que les plénipotentiaires, au lieu de rejeter immédiatement des propositions inadmissibles, avaient cru devoir en référer à leurs cours. C’était donc sans raison, ajoutait-il, qu’on s’était alarmé à Londres.

Sir Charles Stewart, annonçant à. Edward Coke la rupture de la négociation, lui disait : « Vous vous réjouirez, j’en suis convaincu, de la clôture des conférences… Quant à moi, je sais bon gré à Bonaparte d’être un autre Catilina, et les admirables opérations qu’il a accomplies en dernier lieu, avec des forces si inférieures, contre deux armées dont chacune était plus nombreuse que la sienne, ne peuvent qu’accroître sa réputation militaire. Je crois qu’il ne s’est jamais montré plus grand, et qu’il n’a jamais joué avec plus d’habileté un jeu désespéré que depuis la bataille de Brienne. » Ces témoignages d’admiration accordés à un ennemi qui les méritait si bien, mais dont on ne parlait d’ordinaire, que sur le ton de l’outrage et du mépris, sont l’expression naïve de la joie qui remplissait le cœur de sir Charles Stewart. Il devenait pour un moment presque juste envers Napoléon, par reconnaissance de ce qu’il avait refusé la paix.

Cette disposition des esprits pourrait difficilement être comprise, si l’on ne tenait compte du changement qui s’était opéré depuis quelques semaines dans la situation respective des armées belligérantes. Au moment où se terminait le congrès, Lyon ouvrait ses portes à un corps autrichien que le maréchal Augereau n’avait pas su contenir. Peu de jours auparavant, le 12 mars, Bordeaux avait appelé les Anglais et proclamé la royauté de Louis XVIII. En France et hors de France, cette première manifestation du sentiment royaliste avait produit un très grand effet. Sur le théâtre même où Napoléon avait naguère obtenu de si éclatans succès, son étoile pâlissait de nouveau. Les marches continuelles, les combats presque journaliers par lesquels il avait pu jusqu’alors, à plusieurs reprises, arrêter, repousser, écarter successivement deux formidables armées marchant sur Paris par deux routes différentes, avaient épuisé ses dernières ressources. L’excès de la fatigue non moins que le fer de l’ennemi opérait chaque jour dans les rangs de ses soldats des vides qu’il ne pouvait remplir qu’incomplètement et avec beaucoup de difficulté, tandis que les masses énormes de la coalition, à peine entamées par les pertes qu’il leur faisait subir, étaient sans cesse recrutées de nouveaux corps arrivant de l’Allemagne et du nord de l’Europe. Les chefs alliés,