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est aussitôt retourné contre elle par ses ennemis, et voici la situation qui en dérive. Là où le catholicisme est le plus fort, il écrasera la réforme ; là où il est le plus faible, la réforme, en vertu de ses principes, devra le respecter et lui donner le temps de se réparer. L’un conserve le droit de tout reconquérir, l’autre s’engage à tout supporter. C’est là ce qu’on appelait tolérance au XVIe siècle, par où l’on voit quelle difficulté s’offrit dès le commencement aux novateurs. Accorder la liberté pleine et entière à une église qui jurait de détruire le protestantisme, c’était pour celui-ci une tentation de magnanimité qui lui fut conseillée par beaucoup de ses docteurs : faute sublime qui, en lui donnant la couronne dans le ciel, n’eût pas manqué de le ruiner pour jamais sur la terre. Le protestantisme des Pays-Bas fut moins chrétien que politique. Il rendit à son ennemi guerre pour guerre, et, lui empruntant ses armes terrestres, il lui arracha une partie de la terre. Tel fut l’esprit de Calvin, continué par le Taciturne et Aldegonde : ils ne se contentèrent pas de la possession du ciel pour le règne de leurs doctrines ; ils voulurent leur donner l’autorité ici-bas, et ils y réussirent.

Lorsque la question fut posée aux principaux chefs de l’église réformée, — si l’on devait observer la paix de religion avec les catholiques, — Marnix lit au nom de l’église hollandaise une réponse digne des maximes les plus humaines du XVIIIe siècle : « Gardez vos engagemens envers tous ; la violence ne saurait remplacer le droit. Abolir un faux culte est une chose excellente, si elle a lieu par des voies légitimes. » Et pourtant, lorsque les états de Hollande interdirent le culte catholique, il n’est pas moins certain qu’il applaudit et contribua à cette interdiction.

Une contradiction pareille s’explique par les propres paroles de Guillaume d’Orange dans son Apologie : « Les états-généraux ont appris, par les insolentes entreprises et trahisons des ennemis mêlés parmi nous, que leur état est en danger de ruine inévitable, s’ils n’empêchent l’exercice de la religion romaine… Il n’est pas raisonnable que telles gens jouissent d’un privilège par le moyen duquel ils ont voulu livrer le pays aux mains de l’ennemi. » Nul doute qu’au début le prince d’Orange et Aldegonde ne se fussent contentés de la liberté de conscience : c’était là leur doctrine et le drapeau sous lequel ils s’étaient rangés ; mais quand ils revirent les Espagnols tout sanglans des massacres des Flandres, ce fut bien force de comprendre que tout parti qui au XVIe siècle se contentait de la liberté de conscience était immanquablement ruiné d’avance.

C’est qu’entre deux religions inconciliables, dont l’une jouit d’une domination antique, et dont l’autre est née d’hier, nulle paix véritable n’est possible, la première ne pouvant renoncer à recouvrer la