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Tel fut l’état des provinces wallonnes et de la Belgique pendant plus de deux siècles, sans que dans cet intervalle aucune grande crise ait attesté une souffrance vive dans les masses ; elles montrèrent une infatigable patience à subir le joug, parce qu’il était d’accord avec le principe de leur foi, et rien n’importe plus aux peuples que de se sentir d’accord avec eux-mêmes. Il n’y a guère que les contradictions violentes qui leur soient vraiment odieuses. Longtemps tourmentée par la contagion de l’esprit novateur, celle société, enfin revenue aux croyances de Philippe II, revient naturellement à son empire. Elle a trouvé son centre de gravité dans la servitude ; elle va s’y reposer deux siècles et demi.

D’autre part, avec un semblable esprit de suite, la Hollande et la Zélande, dégagées enfin de tout lieu avec l’ancienne église, se précipitent d’un mouvement pareil vers un nouvel ordre politique, et ces peuples mettent à rejeter la servitude la même patience admirable que les autres à la supporter. Ceux-là donnent quatre-vingts ans de misère, de famine, d’exil, de bannissemens, de guerres à leur cause, sans demander un seul jour leur salaire, tant il est doux de combattre pour une idée morale ! Il est véritablement frappant que cette poignée d’hommes, les plus positifs de tous, comme on dit aujourd’hui, n’aient pu être ni lassés, ni rebutés par aucun sacrifice, et qu’ils n’aient jamais demandé, avant d’avoir vaincu, combien leur serait payée leur victoire. Lorsqu’on réduit une révolution à un avantage matériel, chacun est toujours disposé à mettre en balance ce qu’elle rapporte et ce qu’elle coûte, sauf à l’abandonner pour peu qu’elle s’endette. Il en est autrement lorsqu’une idée religieuse ou morale est au fond : c’est une valeur infinie qui ne peut être mesurée par aucun sacrifice ; la pensée ne vient à personne de comparer ses services avec cet infini.

À peine séparées, les provinces du midi et celles du nord se trouvent à une distance incommensurable l’une de l’autre. On ne comprend plus qu’elles aient songé un moment à ne former qu’un seul corps : les premières ont disparu dans la monarchie espagnole, sans même garder leur nom ; les autres, érigées en république, pleines d’une vie surabondante, font reculer l’Espagne au bout de l’Europe et la dépouillent dans le reste du monde.

La révolution hollandaise a réussi, parce qu’elle s’est donné pour base une révolution religieuse, parce qu’elle a osé profiter de sa victoire et la prendre au sérieux, parce qu’elle s’est donné le temps de grandir avant d’amnistier son adversaire et qu’elle l’a mis dans l’impossibilité de la surprendre, parce qu’elle a refusé toute capitulation avec le principe qui lui était inconciliable, enfin parce qu’en abjurant le catholicisme elle a coupé le câble qui la liait à la monarchie