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de le comparer à Luther dans la diète de Worms : les temps étaient différens, les garanties personnelles plus assurées ; toutefois il faut avouer que, si Luther était venu annoncer dans Worms, devant le vieil empereur, une religion nouvelle, Marnix, par la fierté de son langage, révéla la naissance d’un état et d’un ordre politique nouveau, outre qu’il parlait en présence de ses ennemis les plus puissans et les plus acharnés : don Juan, l’Espagne, Rome, qui avaient là leurs représentans. On fut étonné que Marnix ne se contentât pas de supplier : il accusa ; il mit en cause le duc d’Albe, Requesens, don Juan, tous les pouvoirs officiels légitimes qui s’étaient succédé dans les Pays-Bas. C’était une révolution politique qui prenait la parole devant l’Europe du moyen âge. La majesté du langage ne pouvait couvrir la violence des attaques dans le tableau qu’il faisait de la domination espagnole :


« Nous ne dirons qu’un mot de ce que le duc d’Albe a fait de récente mémoire, car où est celui qui ignore dans quelle désolation a été plongée de son temps la basse Allemagne, auparavant si florissante. Quel pillage des biens particuliers ! quelle rapine des finances publiques ! quel sac des villes et des bourgades ! combien d’exactions intolérables et inouïes jusqu’ici ! combien de meurtres, de tueries des principaux de la noblesse du pays ! Bannissemens des personnes les plus innocentes, confiscations de leurs biens, viols des femmes et des vierges, déprédations des terres, profanation des lois les plus saintes, et les droits et privilèges du pays abolis et foulés aux pieds ! Pour tout dire, combien insupportable a été la servitude endurée de la part du soldat le plus superbe et le plus insolent qui fut jamais ! Et toutefois, s’il se rencontre ici quelqu’un qui pense que le bruit et la renommée de tant de cruautés surpassent la vérité des faits, que celui-là se rappelle la parole du duc d’Albe dans son dernier banquet, au moment de retourner en Espagne. Cet aveu suffira, puisqu’il se glorifiait publiquement d’avoir fait mourir plus de dix-huit mille huit cents hommes par la main du bourreau, sans compter la foule innombrable de ceux qui ont été massacrés dans leurs maisons ou tués sur le champ de bataille.

« Au duc d’Albe, chargé de butin et de dépouilles, ou soûlé de sang et de supplices, succéda le commandeur Requesens, lequel accrut les vieilles bandes d’une troupe nouvelle de soudards affamés, pour sucer, épuiser et tarir le peu d’humeur et de sang qui restait encore. »


Le langage d’Aldegonde ne fut pas moins fier quand il s’adressa aux Allemands. Il ne venait pas seulement demander leur appui, il les avertissait du danger que courait leur nation, et il montrait les marques du fer brûlant imprimé encore au front de l’Allemagne. Les hommes qu’il invoquait étaient unis par le sang, par l’origine, à ceux qu’on laissait égorger dans le nord. Tout le monde germanique se trouvait ainsi en péril, et la question s’élevait du premier moi à une question de race. Marnix excella surtout à provoquer la susceptibilité