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en bride par cette constitution, qui en effet inaugurait un droit politique tout nouveau en Europe. Le principe que chaque peuple a le droit de changer, quand il le veut, son gouvernement renversait le passé ; au lieu de l’ancienne légitimité, mystère du sang royal, apparaissait hardiment et sans voile la loi de nature. Dans ces termes, la constitution de Marnix était un vrai contrat social, qui faisait du prince le chef d’une république, non plus un souverain : premier coup porté avec éclat en Europe au principe d’hérédité monarchique. « Rien de si grand, dit avec raison un savant historien[1] de nos jours, n’était sorti encore du protestantisme. »

Marnix avait eu l’art de faire signer par la France la constitution qu’il avait puisée dans la république de Genève. Par malheur il oublia, selon le mot de Grotius[2], quel faible rempart c’est pour la liberté d’un peuple que le serment d’un prince. Il tomba dans une erreur ordinaire aux hommes doués du plus grand sens : il crut que le duc d’Anjou aurait au moins l’espèce de raison que lui commandait son intérêt. Accoutumés à manier des hommes chez qui le bon sens abondait, Guillaume d’Orange et Marnix ne se mirent point en garde contre l’extravagance du Valois. C’est la seule chose dont ils ne se défiaient pas.

Traînant partout avec lui son prince emmuselé, qui veut l’avoir pour témoin de ses actions, Marnix se rend en Languedoc à la cour de Henri IV. Il propose de donner le Béarnais pour capitaine et pour allié aux Pays-Bas. L’accord est conclu sous la condition que cesseront les guerres religieuses de France. Marnix y emploie toute son autorité sur les siens, témoin la lettre qu’il adresse aux églises protestantes du Languedoc pour les lier à la cause générale de la liberté de religion. Un projet le ramène à Londres ; il espère marier le duc d’Anjou à la reine Elisabeth, et donner ainsi l’appui de l’Angleterre aux Pays-Bas. La reine se prête complaisamment à cette proposition. Marnix écrit aux états qu’il a vu les deux amans échanger leurs anneaux. Déjà l’on frappe à Londres des médailles, où l’on voit d’un côté le buste d’Aldegonde, de l’autre Elisabeth, sous les traits de Vénus, qui met la couronne sur la tête d’Anjou. Au reste, cet étrange sauveur a peur de la mer ; il craint la traversée[3] ; une fois entré en Angleterre, il n’ose plus en sortir[4].

  1. M. Henri Martin, Histoire de France, t. X, p. 608.
  2. Annales et Historien de rébus belgicis.
  3. Inter caetera autem videtur enm vel maxime navigationis periculum ac molestia absterrere. Epist. sélect., p. 913.
  4. « Mais je vois que tout est plein de dissimulations et d’impostures, et qu’il n’est rien de plus difficile que d’établir quelque chose de certain sur les conseils des rois. » Epist. sélect., p. 913.