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XI

J’arrive à ce grand siège d’Anvers on triomphent les historiens du XVIe siècle. Arrêtons-nous à ce moment, le plus important de la vie publique de Marnix, puisqu’on a voulu lui faire un opprobre de son meilleur titre de gloire et qu’il a demandé vainement des juges tant qu’il a vécu. Le temps est venu de finir ce procès.

Anvers était le boulevard de la révolution dans les provinces méridionales. Les états du Brabant y siégeaient. Le protestantisme avait là sa tête de pont fortifiée. La supériorité du duc de Parme sur les capitaines qui l’avaient, précédé fut de comprendre qu’au lieu de continuer la guerre de détails, où s’étaient usés ses prédécesseurs, il devait écraser la Belgique dans Anvers. En frappant un grand coup sur l’Escaut, il romprait la communication des Flandres et de la Hollande ; il affamerait la Belgique et la mettrait dans l’impossibilité de s’approvisionner d’armes, ou de recevoir les troupes qui arrivaient de Zélande, d’Angleterre et d’Ecosse. Tant que les confédérés conservaient leur place d’armes, les succès remportés contre eux dans le reste des Pays-Bas étaient inutiles ; la vie leur revenait par la grande bouche de l’Océan ; pour les étouffer, il fallait la fermer.

Pendant que le duc de Parme concentre son armée pour une aussi vaste opération, Guillaume d’Orange songe à mettre en des mains sûres le dernier rempart de la liberté civile et religieuse. C’est encore Marnix qu’il choisit pour ce poste d’honneur : il le nomme bourgmestre d’Anvers. Marnix s’en défendit longtemps, soit inexpérience de la guerre, soit plutôt qu’il craignit que les haines dont il était l’objet depuis l’affaire du duc d’Anjou ne compromissent la chose publique[1]. Guillaume répondit qu’il jugeait d’avance la place perdue, si Aldegonde n’acceptait le commandement ; il ajouta un mot qui prouve à quel point il connaissait le réformateur des Pays-Bas : « Sainte-Aldegonde, souffrons que l’on marche sur nous, pourvu que nous puissions aider l’église de Dieu. » Afin d’augmenter l’autorité de son lieutenant, il voulut le faire marquis. Aldegonde refusa le titre, qui ne s’adressait qu’à la vanité ; il accepta le poste du combat. Guillaume lui laissa des instructions pour le siège, après quoi ils se séparèrent. Ils ne devaient plus se revoir.

À peine Aldegonde s’est-il enfermé dans Anvers, qu’il reçoit la nouvelle du plus grand malheur qui pût le frapper. Il y avait deux ans qu’il l’avait annoncé en lisant les dernières lignes de l’Apologie que le prince d’Orange avait opposée aux poignards de Philippe II :

  1. « Il semblait que la haine que aucuns me portaient pourrait préjudicier au public. » Réponse apologétique. Voyez Broce, t. II, p. 194.