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ronde, plus communicative, mais aussi trop dépourvue de cet idéal que Cimarosa mêle à ses plus franches bouffonneries.

M. Beyle apprécie avec beaucoup de finesse et d’esprit les défauts de la musique de Rossini dans cet ouvrage, auquel il reproche d’être écrit souvent en style d’antichambre. « Tout cela me semble fait sous la dictée du proverbe français : Glissons, n’appuyons pas. Jamais Cimarosa, Paisiello ou Guglielmi n’ont atteint à ce degré de légèreté. Or je voudrais expliquer comme quoi la musique est peu propre à rendre les bonheurs de vanité et toutes les petites mystifications françaises qui depuis dix ans fournissent les théâtres de Paris de tant de pièces piquantes, mais que l’on ne peut revoir trois fois. » Voilà qui est très ingénieusement touché, et je m’étonne que M. Beyle ne saisisse pas cette occasion de dire un mot de l’opéra français, de cette Cendrillon de M. Etienne et de Nicolo, qui aurait dû procurer à une plume aussi fertile en délicates analyses un curieux sujet de rapprochement entre la musique italienne et la musique française. J’assistai, il y a quelques années, à la reprise de Cendrillon à l’Opéra-Comique, et je fus ravi, je l’avouerai, du caractère aimable de cette inspiration si naïvement romantique. L’opéra de Nicolo produisit sur moi un effet que la musique de Rossini dans toute sa pompe n’avait point su produire. Il me semblait entendre un vrai conte de fées en musique, et je retrouvais dans ces phrases un peu écourtées, mais d’une expression si simple et si touchante, cet air de grâce enfantine et de bonhomie que respire la bibliothèque bleue. Un Lied d’Uhland ou de Kerner qu’on lirait discrètement alors qu’on a l’oreille encore toute remplie d’une tirade de beaux vers un peu déclamatoires et redondans, telle sera, je suppose, l’impression que vous éprouverez, si jamais il vous prend fantaisie d’aller entendre le petit chef-d’œuvre de Nicolo Isouard au lendemain d’une représentation de la Cenerentola de Rossini. Sans doute le maître italien a pour lui l’admirable septuor du second acte et le fameux duo bouffe entre don Magnifico et le cameriere Dandini, que M. Beyle appelle la perfection dans l’art d’imiter, probablement parce que ce duetto n’existerait pas sans celui du Matrimonio segreto ; mais ce ne sont là, on peut le dire, que des morceaux de concert mis à la suite les uns des autres, dans l’unique intention de produire à la lumière la bravoure individuelle des chanteurs. Somme toute, Cendrillon l’emporte par la poésie et le romantisme, Cenerentola par la plasticité. Et si j’osais risquer la comparaison, je dirais que l’une m’apparaît comme une humble et douce violette, l’autre comme une éblouissante tulipe au calice rayé de pourpre et d’or : ici plus de grâce modeste et de parfum, là plus de coloris et plus d’éclat. Au moment où Rossini écrivait la Cenerentola, se trouvait à Rome l’auteur de Jessunda et de Faust, Louis Spohr, tête carrée et germanique