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« À ton aise, réplique Félix, tombe tant que tu voudras sur les compositeurs, mais, pour Dieu, ne va pas nous brouiller avec le public ! — Et vous, reprend alors Diehl, sautant en bas de sa chaire improvisée, tâchez à l’avenir de ménager davantage mon Rossini. Croyez-vous, parce que je n’ai point les yeux fermés sur ses misères, qui sont nombreuses, je l’avoue, croyez-vous que je l’en aime moins pour cela, mon aimable, mon irrésistible, mon divin Rossini, l’enfant chéri de la fortune ? Qu’il apparaisse seulement ici dans cette chambre où nous sommes réunis, et voilà soudain tout sens dessus dessous. Quelles étincelles de feu dans ses regards ! Comme de sa main féconde va tomber sur ces dames une enivrante pluie de fleurs ! Qu’importe après cela qu’il marche sur le pied au bon docteur, qu’il renverse un cabaret de vieux-saxe et brise même le miroir où nous aimions tant à voir se refléter la nature ? Aimable et cher enfant ! Cherubino d’amore ! C’est à qui le prendra dans ses bras pour le couvrir des plus folles caresses, et de quel joyeux éclat de rire, en s’échappant tout à l’heure, ne saluera-t-il pas l’école où ses pauvres camarades, assis à la peine, suent sang et eau pour satisfaire un public qui leur marchandera quelques misérables morceaux de pain noir, tandis que lui, l’heureux enfant gâté, le friand espiègle, on le nourrit des plus fines chateries ! A vrai dire, je ne crains pour mon favori qu’une chose : c’est l’époque où le jouvenceau cherche à devenir homme, fasse le ciel que jamais cette époque n’arrive, et puisse la folâtre libellule trouver parmi les fleurs qu’elle hante une mort douce et fortunée ! Ne devient pas abeille qui veut : il est, hélas ! si facile de s’arrêter en chemin de transformation et de finir par n’être en dernière analyse qu’une guêpe incommodante qui vous assourdit et vous assomme ! »


On ne saurait s’expliquer plus clairement, et voilà certes un apologue qui ne s’embarrasse point de déguiser sa moralité. Cette boutade d’ailleurs ne manque ni de verve ni d’originalité dans le tour, j’y surprends même par éclairs la pointe fantaisiste d’Hoffmann. J’observerai pourtant que le conteur de Berlin n’a jamais, fût-ce dans ses critiques, la goutte de fiel qui perle ici au bout de la plume de Weber. Qu’aurait-il donc pensé de son persiflage, l’auteur de Freyschütz et d’Oberon, s’il eût attendu l’heure solennelle que marqua l’apparition de Guillaume Tell, et que Weber n’entendit pas sonner ? Noble et poétique nature, ce fut lui que la mort ensevelit dans les blanches nappes du clair de lune, lui que la mort coucha sous l’herbe humide et trempée des larmes d’Ariel et de Titania !

Weber était du nombre de ces génies qui semblent voués à la souffrance ; d’une complexion nerveuse et maladive, pauvre et supportant avec une grande fierté d’âme les plus douloureuses nécessités, il avait au moral les mêmes susceptibilités qu’au physique, et de même que les moindres atteintes climatériques influaient chez lui sur la santé du corps, de même son cœur impressionnable se froissait au moindre contact. Je laisse à penser quelles affinités pouvaient exister entre ces deux individualités dont l’une représente la rêverie,