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de la phrase du finale (en canon) si ingénieuse et si bien sentie, du grand trio du second acte : In questi estremi instanti, et de la prière en fa mineur, morceaux d’une inspiration mâle et sévère, dans lesquels vous pressentez déjà le chantre de Guillaume Tell ? A Venise, la partition de Maometto éprouva le même échec qu’a Naples. Au premier abord, on attribuerait volontiers cette double défaite à la délétère influence du libretto. Néanmoins, quand on réfléchit à l’importance toute secondaire qu’en Italie on accorde au sujet, quand on voit cette musique, presque dédaigneusement écoutée à Naples et à Venise, réussir à Vienne et à Paris sans que les conditions du poème soient autres, il faut bien en venir à chercher dans un ordre d’idées plus relevé la cause d’un pareil effet. Le moment semblait venu où Rossini et ses compatriotes, après avoir fait si longtemps bon ménage, allaient rompre publiquement et solennellement divorcer. Illa iuvenilium vulgaria, laborum meorum cantica quorum hodie pudet ac poenitet : ces mots que fort improprement écrivait Pétrarque en parlant de ses sonnets et de ses poésies, un jour allait venir où l’auteur de Guillaume Tell, à plus juste titre sans doute, les appliquerait à certaines œuvres que le génie, arrivé à sa maturité, condamne et désavoue[1]. Quoi qu’il en soit, tout entier au pressentiment de.sa seconde manière, l’auteur de Mosè et de Maometto se rapprochait de l’Allemagne et de la France, où son imagination s’apprêtait a parcourir de nouveaux cycles. Les Napolitains, pas plus que les Milanais et les Vénitiens, ne s’y trompèrent ; de là leur froideur et leur éloignement. Chose caractéristique, la même partition qui l’avait brouillé avec ses compatriotes devait plus tard le réconcilier avec nous, et Maometto, répudié à la Scala, indifféremment accueilli à la Fenice, devenu à Paris en 1826 le Siège de Corinthe, intronise sa gloire à l’Académie royale de musique.

À cette époque, Rossini n’avait pas encore traversé les Alpes ; sa vie nomade s’était passée à voyager de Milan à Venise, de Venise à

  1. À cette partition d’Odoardo e Cristina par exemple, soi-disant écrite pour Venise, et dans laquelle il n’avait seulement pas pris la peine de donner une forme nouvelle à d’anciennes idées. « L’opéra commence, il est applaudi avec transport ; mais par malheur il y avait au parterre un négociant napolitain qui chantait le motif de tous les morceaux avant les acteurs. Grand étonnement des voisins ! On lui demande où il a entendu la musique nouvelle. « Hé ! ce qu’on vous joue là, leur dit-il, c’est Ricciardo e Zoraide et Ermione, que nous avons applaudis à Naples il y a six mois. » Cependant l’imprésario furieux cherche Rossini, il le trouve. « Que t’ai-je promis ? lui répond celui-ci d’un grand sang-froid. De te faire de la musique qui fut applaudie ; celle-ci a réussi, ” tanto basta ! Au reste, si tu avais le sens commun, ne te serais-tu pas aperçu, aux bords des cahiers de musique tout roussis par le temps, que c’était de vieille musique que je t’envoyais de Naples ? » (Beyle, t. II, p. 511.) J’en dirai autant de Matilda di Shabran, dont l’imprésario de Rome, moins dupe que celui de Venise, refusa net de payer les droits d’auteur, alléguant qu’on ne lui avait fourni là qu’une marchandise de pacotille.