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Cecconi, il avait tout à coup senti se rallumer ses anciens feux pour la Colbrand ! comme il était venu confesser ses torts et demander grâce ! évidemment un pareil sigisbé ne quitterait point la place de gaieté de cœur, et Cassandre, plutôt que de se laisser ravir Isabelle, romprait cette fois sur l’échine du beau Léandre sa canne de jonc à bec de corbin. Or c’était là ce que sur toute chose on voulait éviter. On convint donc, pour tourner autant que possible les difficultés, de faire un mariage secret, un matrimonio segreto, dont immédiatement au sortir de la cérémonie on s’empresserait d’informer don Geronimo-Barbaja, lequel, après s’être échauffé la bile, après avoir déshérité tout le monde, en vrai tuteur de comédie, finirait par se laisser attendrir et par donner sa bénédiction paternelle à ces jeunes et naïfs époux que l’amour avait d’avance unis.

Un matin, c’était le 8 mars 1822, le seigneur Dominique Barbaja, vêtu de la robe de chambre à ramages de don Magnifico, se prélassait délicieusement dans son cabinet, donnant audience aux gens de sa maison et tranchant du premier ministre avec un tas de pauvres diables sur lesquels il aimait à faire descendre en cascades les humiliations et les impertinences qu’il lui arrivait, à lui, d’avoir à subir de la part des courtisans du roi Ferdinand et de la duchesse de Floridia, sa superbe favorite. Tout à coup dans le vestibule encombré de danseuses, de chanteurs, de figurans, de machinistes, de poètes et de journalistes, le souffleur du théâtre San-Carlo se précipite hors d’haleine et demande qu’on l’introduise d’urgence. Ce souffleur, espèce de Trufaldin contrefait et besoigneux, outre l’emploi qu’il exerçait le soir sous sa coquille, passait pour remplir auprès de sa hautesse les honorables fonctions d’entremetteur et d’espion. Préposé à la surveillance du harem, il en connaissait tous les détours, et sa principale occupation consistait à recueillir dans un rapport quotidien les marches, démarches et contremarches de telle ou telle prima donna, ainsi que les divers bruits et anecdotes qui couraient la ville à son sujet. Cela explique comment la porte de l’imprésario n’était jamais fermée pour ce personnage et comment il avait le pas même sur le premier ténor. Au moment où le Trufaldin en question se fit annoncer, Barbaja, riant et coquetant, avait auprès de lui Mlle Cecconi et jouait avec une rose qu’il venait de cueillir sur le sein de l’aimable bergère. On devine l’effet que produisit la mine ébouriffée du souffleur, venant jeter, comme un aérolithe au milieu de cette églogue, la nouvelle du départ subit de la Colbrand pour sa villa de Castenato, et de son prochain mariage avec Rossini. La liberté qu’il venait à peine de recouvrer après dix ans de fers, Barbaja s’empressa de la mettre aux pieds de la tendre Cecconi, qu’il serrait de joie à l’étouffer.