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à quel point il passionnait les masses. Populaire par ses mélodies, choyé, fêlé, gâté des hautes classes, il eut l’insigne bonheur, peut-être aussi la très grande habileté de se concilier les sympathies de tout le monde dans un pays fort exclusif en bien des choses, surtout eu matière de goût musical, et qui n’oublie jamais qu’il a donné naissance à Mozart et à Beethoven. Il faut dire aussi que sa souplesse ordinaire le servit à merveille sur ce terrain tant soit peu difficile. Il ne se contenta pas d’être poli, spirituel et bienveillant, d’avoir toujours à la bouche une parole aimable pour répondre au compliment qu’on lui adressait : il usa, vis-à-vis de cette société qui raffolait de lui et de ses œuvres, d’infiniment de tact et de diplomatie, ne négligeant pas de faire sa cour aux gloires nationales. À propos de Beethoven, par exemple, il n’y a pas de belles choses qu’il ne dit : c’étaient sa joie et ses délices d’entendre les symphonies et les quatuors de ce maître, exécutés comme à Vienne seulement on sait exécuter la musique instrumentale. Quel bonheur pour M. Beyle de n’avoir point assisté à ces palinodies ! C’est pour le coup qu’il eût désespéré de l’avenir de son idéal, lui qui si naïvement prévoyait, après Zelmira, que Rossini finirait par être un jour plus allemand que Beethoven[1]. Quoi qu’il en soit, ce pèlerinage de l’auteur narquois du Barbier et de la Cenerentola au monument lyrique de Beethoven a sa moralité. On a dit que l’hypocrisie est un hommage rendu à la vertu ; j’appliquerais volontiers ce mot à la circonstance, en remplaçant toutefois vertu par génie.

Cependant le fameux congrès se réunissait à Vérone. « Des chanteurs et des comédiens étaient accourus pour amuser d’autres acteurs, les rois ! » Au nombre de ces chanteurs et de ces comédiens dont parle M. de Chateaubriand, figurèrent bientôt l’auteur de Tancredi et sa femme. Les têtes couronnées, les archiducs et tant d’illustres personnages venus là pour débattre et régler les intérêts de l’Europe firent le meilleur accueil à Rossini. Le congrès de Vérone ne dansait pas toujours, il chantait aussi ; il chantait chez le duc de Wellington,

  1. « Rossini dans Zelmira s’est éloigné immensément du style d’Aureliano in Palmira et de Tancredi, de même que Mozart dans son Titus s’était éloigné du style de Don Giovanni. Ces deux génies ont suivi une route tout opposée : Mozart aurait fini par devenir exclusivement Italien, tandis que Rossini finira par être plus Allemand que Beethoven ! » - Vie de Rossini.