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même devant les images de Bossuet et de Fénelon. Quant au Dictionnaire philosophique, la question est encore plus facile à résoudre. Il s’agissait de montrer que cet esprit encyclopédique a trop souvent prodigué la raillerie pour se dispenser de l’étude. À proprement parler, Voltaire n’est pas un philosophe, quoiqu’il ait parlé de philosophie, pas plus qu’il n’est astronome, quoiqu’il ait popularisé chez nous les découvertes de Newton. Il fallait faire dans le Dictionnaire philosophique la part du bon sens, qui n’a jamais rencontré de plus habile interprète, et la part de l’érudition, de la science, prise dans l’acception la plus élevée, que Voltaire a bien rarement abordée. Placée sur ce terrain, la discussion n’aurait offert aucun danger à la portion la plus jeune de l’auditoire. Il ne s’agissait pas de condamner Voltaire philosophant au nom du catéchisme, il fallait le juger au nom même de la philosophie. Il était facile de montrer qu’il n’a pas sondé tous les problèmes dont il parle, qu’il n’a pas étudié tous les systèmes dont il se moque. Ou je m’abuse étrangement, ou le Dictionnaire philosophique, ainsi décomposé en deux parts, celle du bon sens et celle de la science, n’aurait pu effaroucher aucune oreille, alarmer aucune croyance. Candide même, je le crois sincèrement, peut susciter en matière de goût plus d’une réflexion salutaire. Il était digne de M. Villemain de rappeler aux esprits délicats, d’enseigner aux esprits vulgaires, comment, pourquoi Zadig, dans l’ordre littéraire, est supérieur à Candide, de montrer la limite où finit la raillerie, où commence le dévergondage, c’est-à-dire où finit l’invention, où commence l’image brutale de la réalité. D’ailleurs la parole du professeur eût évité sans effort tous les écueils d’un pareil sujet, elle eût trouvé moyen de tout indiquer avec discrétion. La dignité de la Sorbonne n’y eût rien perdu, et la cause du bon sens et du bon goût n’avait qu’à y gagner. Le talent de M. Villemain est d’un ordre trop élevé pour qu’on lui ménage la vérité. Ici, la franchise est un signe éclatant de déférence.

M. Villemain dit sur Jean-Jacques Rousseau d’excellentes choses. Malheureusement, au lieu d’embrasser le sujet dans toute son étendue, il ne parle avec quelques détails que d’un seul ouvrage, de l’Emile. Il juge en une seule ligne la Nouvelle Héloïse, et son jugement peut être frappé d’appel. « Oeuvre de talent sans invention, » il n’en dit pas davantage. En vérité, c’est pousser trop loin l’amour de la concision, et j’ajouterai, sans craindre le reproche d’injustice, que c’est se montrer trop sévère pour une œuvre aussi importante. Je sais tout ce que les conteurs de profession peuvent blâmer dans la Nouvelle Héloïse, je sais que trop souvent l’auteur a pris l’emphase pour la véritable éloquence ; mais, tout en admettant la légitimité de ces accusations, pour demeurer fidèle à la cause de la