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L’Histoire de Cromwell se recommande par l’étude approfondie des documens originaux. Publié il y a trente-cinq ans, ce livre est encore aujourd’hui très utile à consulter, car tous les élémens du récit ont été réunis par une érudition persévérante et consciencieuse. L’historien n’avance pas un fait sans preuve, et le lecteur, lors même qu’il n’accepte pas le jugement prononcé par l’auteur, est forcé de reconnaître que ce jugement n’a pas été prononcé à la légère ; il n’y a pas une assertion qui repose sur une science de seconde main. L’Histoire de Cromwell ne possédât-elle que cet unique mérite, elle serait déjà digne d’une sérieuse attention ; mais ce n’est pas le seul qu’elle possède. À l’époque où elle parut, quelques esprits ingénieux s’étaient habitués à chercher dans la révolution anglaise l’explication des événemens accomplis chez nous un siècle et demi plus tard. M. Villemain ne s’est pas laissé séduire par cette théorie, qui ne repose sur aucune base solide ; sans méconnaître les rapprochemens qu’on peut établir entre les deux révolutions, il a très bien compris qu’elles sont séparées l’une de l’autre par une différence profonde ; il connaît trop bien l’Angleterre et la France pour ne pas sentir, pour ne pas savoir que la révolution anglaise est avant tout politique, tandis que la nôtre est tout à la fois politique et sociale. C’est pourquoi il a étudié la révolution anglaise en elle-même, laissant au lecteur le soin d’établir une comparaison entre les deux pays. Il s’est attaché avec un soin scrupuleux à rechercher les causes des événemens et a porté son attention non-seulement sur le dépouillement des documens originaux, mais encore et surtout sur l’analyse des caractères. Après avoir lu son livre, on connaît à fond les principaux personnages qui ont préparé dans la Grande-Bretagne l’établissement définitif du gouvernement représentatif. Les travaux entrepris depuis trente-cinq ans sur le même sujet n’ont pas entamé la valeur de ce beau livre, car tous les faits importans y sont racontés fidèlement ; et s’il est permis de les grouper autrement, d’en tirer d’autres conclusions, la lecture attentive des mémoires écrits par les témoins ou les acteurs de ce drame politique ne peut rien nous apprendre que nous ne sachions déjà par M. Villemain.

Quant au style de cette histoire, je n’ai pas besoin d’en faire l’éloge. Où trouverions-nous une langue plus pure, plus élégante et plus précise ? La sobriété des ornemens laisse à la pensée toute sa grandeur. Maître consommé dans l’art de bien dire, M. Villemain ne cède jamais à la tentation d’éblouir le lecteur par l’éclat des images. On sent à chaque page l’écrivain qui a vécu dans le commerce familier de l’antiquité, qui s’est formé à l’école de Thucydide et de Tacite, et qui applique leur procédé au récit des événemens modernes. Il se souvient de leurs plus belles pages, mais ne les imite jamais servilement.