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scientifiquement les différences humaines comme permanentes, on croyait qu’elles ne formaient que des variétés ou des races dans une espèce unique. En 1821, M. Virey, et peu après MM. Desmoulins et Bory de Saint-Vincent s’aperçurent que les différences entre les hommes sont telles qu’elles peuvent donner lieu à une division plus profonde, et ils distinguèrent dans le genre humain, l’un deux, et les autres quinze et seize espèces. À cette époque seulement, la nouvelle science a pris une place éminente parmi les diverses branches de l’histoire naturelle, car c’est surtout lorsqu’on admet des différences originelles et permanentes que la classification humaine offre de l’intérêt. Si au contraire on croît à l’unité absolue, si l’on pense que les hommes, semblables les uns aux autres dans les premiers temps, sont allés prendre des caractères différens dans diverses régions du globe, cette recherche devient vaine et stérile. Que nous importe d’établir une classification entre des types qui ne portent point un sceau originel, entre des formes qui varient d’un jour à l’autre, de sorte que chaque siècle, chaque année même, peuvent anéantir certaines races ou en créer de nouvelles ? Rechercher au contraire si dès l’origine les différences organiques ont existé, si elles se sont transmises intactes à travers les siècles, si elles coïncident avec des différences intellectuelles, comment ces différences, combinées par des croisemens, ont produit de nouvelles nations, et expliquer ainsi l’histoire par la physiologie, l’esprit et les mœurs des nations par la nature intime des peuples dont le mélange les a produites, c’est une des études les plus curieuses, les plus intéressantes, les plus propres à jeter du jour sur la destinée, la politique et la civilisation des peuples.

On le voit, cette question peut être l’objet de deux modes de recherches scientifiques : celui de l’historien critique ou philosophe qui, étudiant les races dans les actes de l’humanité, prouve ou cherche leur existence dans leurs effets, ou explique les faits par leur existence supposée, et celui du naturaliste qui s’informe peu des conséquences sociales et politiques, et ne s’occupe que de l’organisation physique des hommes. C’est sous ce dernier point de vue seul que nous allons envisager cette question. Nous laisserons de côté l’histoire, la linguistique, l’archéologie, qui peuvent aider à la détermination du nombre, de races ou d’espèces humaines ; nous ne voulons pas rechercher combien la terre renfermerait d’espèces d’hommes différentes, mais simplement s’il y a des raisons d’en admettre plusieurs au point de vue zoologique. C’est un simple problème de physiologie. D’autres verront si les divisions zoologiques concordent avec les divisions de l’histoire et de la géographie ; notre travail se bornera à énumérer d’une manière générale les différences observées entre les hommes, et à examiner ensuite s’il est évident que ces différences puissent être le résultat d’influences extérieures. Qu’on ne s’effraie pas cependant, nous essaierons d’être dans cette question aussi peu technique que possible ; nous écarterons les expressions pédantesques qui pourraient n’être pas familières à nos lecteurs. Le langage scientifique est commode pour les découvertes et facilite l’étude ; mais il est rarement indispensable à l’exposition des doctrines et des théories. S’il est utile de populariser les sciences, il n’est nullement nécessaire d’en vulgariser le langage. Les sciences ne demandent pas à conquérir le monde, elles ne le peuvent