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plus marquant du père ou de la mère ; mais, si nous regardions plus attentivement, nous retrouverions des traits, moins accentués sans doute, mais visibles cependant de l’autre parent. Quand même cela serait exact, quand même ce fait que nous observons serait dû à une loi d’équilibre, il n’en resterait pas moins un fait, et il montrerait ce que nous tenons surtout à prouver, à savoir que la différence entre le blanc et le nègre, le jaune et le cuivré, est analogue à la différence qui existe entre deux espèces animales, l’âne et le cheval par exemple.

Cependant, chez les animaux et les végétaux, les espèces se reproduisent et se perpétuent sans se mêler ni se confondre les unes avec les autres. La nature veut que les créatures de toute sorte croissent et se multiplient en propageant leur propre espèce et non point une autre. Si les espèces pouvaient se mêler, si une séparation profonde n’existait pas entre elles, l’ordre et la variété ne pourraient se conserver à la fois dans la création animale et végétale ; le monde ne présenterait bientôt qu’une scène de confusion universelle. Comment supposer qu’outre les exceptions peu nombreuses que nous avons mentionnées, le genre humain puisse présenter le même phénomène, et que toutes les espèces d’hommes puissent se mêler indistinctement, sans qu’il soit possible de retrouver les types primitifs et de déterminer les caractères de chaque espèce ? Pourquoi la nature aurait-elle moins fait pour les hommes que pour les animaux et les plantes ? Cette objection serait sérieuse, si l’on n’apercevait le remède à côté du mal, si la nature n’avait employé ici un procédé qui conduit au même résultat que l’infécondité réciproque des espèces, mais qui diffères dans ses moyens. Loin que les hommes, en se mêlant, produisent des types variés à l’infini, nous voyons au contraire les formes des hybrides varier entre des limites très restreintes. Les différences caractéristiques des hommes sont douées d’une force de résistance qui brave non-seulement les influences climatériques, mais même les croisemens les plus répétés. Lorsque deux races ou deux espèces différentes se mélangent, les produits tiennent des deux parens, et il semble que ce croisement doive éteindre les types primitifs ; mais si ces métis s’unissent à des individus appartenant à l’espèce d’un de leurs parens, leurs enfans tendront à reprendre les caractères qui distinguent ce type, et au bout de quelques générations, si des unions du même genre se produisent, on ne retrouvera plus de traces de l’autre type. Si dans une population blanche on introduit une certaine quantité de noirs, au bout d’un très petit nombre de générations, le type noir est absorbé et ne se retrouve dans aucun des enfans. La même chose arrive pour les animaux d’espèce différente que l’on parvient à croiser ; toujours les produits tendent à reprendre les caractères de l’un des types mélangés. Cette persistance des types nous montre que les différences humaines sont loin d’être dues au hasard ou aux climats, et apporte une assez forte probabilité en faveur de la doctrine de la diversité des espèces. C’est grâce à cette loi de la nature que l’on peut espérer de retrouver les types des races primitives au milieu des croisemens sans nombre que les invasions, les conquêtes, les colonisations, ont occasionnés. Nous avons déjà donné quelques exemples de cette persistance en citant les Juifs et les Grecs. Ce ne sont pas les seuls, à beaucoup