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autrichienne doit opposer aux entreprises de la Russie contre l’empire ottoman : — son intérêt et ses traditions.

L’intérêt qui force l’Autriche à barrer à la Russie la route de Constantinople est appréciable pour tout le monde : il est écrit sur la carte. La Russie envahissante et s’étendant vers Constantinople, et l’Autriche veillant à sa propre conservation, se rencontrent et se heurtent corps à corps sur le même terrain, les rives du bas Danube, La Russie ne peut pas marcher vers Constantinople, si elle n’est pas maîtresse du bas Danube ; si le bas Danube ne reste pas neutre, s’il tombe aux mains de la Russie, l’Autriche perd sa liberté géographique et devient vassale de la puissance redoutable qui est maîtresse de ce grand fleuve. L’Autriche n’est pas seulement une puissance danubienne, elle est dans ses provinces orientales une puissance slave ; les conquêtes de la Russie sur la Turquie, la possession seule de la Moldo-Valachie, mettraient en contact immédiat avec l’empire panslaviste les populations slaves de l’empire autrichien. L’Autriche n’est pas seulement danubienne et slave, elle est catholique, elle compte parmi ses sujets plusieurs millions de ces Grecs sur lesquels l’empereur orthodoxe revendique une influence et un protectorat si menaçans. Ainsi par la géographie, par l’esprit de races, par la religion, les entreprises de la Russie frappent mortellement l’Autriche sur trois points, si l’Autriche les laisse triompher. Et ici que l’on ne croie point qu’il y ait une transaction possible, quelque chose d’analogue au partage de la Pologne. Essayez de tracer sur la carte un plan de partage des dépouilles turques entre la Russie et l’Autriche, vous ne réussirez jamais à faire à l’Autriche qu’une part de dupe. Danubienne, slave, catholique, l’Autriche aura toujours livré sur elle à la Russie, par un pareil marché, trois clés de position irrésistibles. Une fois les desseins de la Russie sur l’empire ottoman accomplis, l’empire d’Autriche perdrait à l’instant son indépendance et son initiative dans les grandes affaires de l’Europe. Ses empereurs ne seraient plus que des vice-rois fainéans vivant du bon plaisir des autocrates ; sa belle armée, qui porte aujourd’hui si haut la noblesse de sa loyauté et l’orgueil du drapeau, ne serait plus qu’une avant-garde mercenaire des armées russes ; elle deviendrait elle-même une autre Turquie, soumise aux mêmes démembremens successifs, aux mêmes ingérences impérieuses, et ne trouvant peut-être pas pour s’y soustraire dans une lutte suprême ce ressort d’esprit national et religieux qui anime et illustre en ce moment la résistance des Turcs. En allant combattre les entreprises de la Russie, ce n’est pas contre un danger personnel, direct, immédiat, que la France et l’Angleterre prennent les armes ; par une politique intelligente, élevée, digne des beaux temps de leur histoire, elles courent, pour le prévenir, au-devant