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du manifeste, qui donnait à l’occupation un caractère et une portée sur lesquels l’Autriche avait été complètement trompée. Ce manifeste, on s’en souvient, était un appel au sentiment religieux des Grecs orthodoxes, il n’y était question que des prétendus dangers qui auraient menacé l’église grecque et de la mission imposée à l’empereur Nicolas de la défendre. Ce n’était pas sous cette couleur, qui substituait une guerre religieuse a un litige politique, que la mesure de l’occupation des principautés avait été présentée d’avance par la Russie à l’Autriche catholique. C’était à l’Autriche, la puissance la plus voisine du territoire envahi et la plus compromise par une guerre de race et de religion allumée sur sa frontière, de crier le premier qui vive ? M. de Buol demanda des explications catégoriques à Saint-Pétersbourg, en se plaignant qu’on lui rendit impossible le rôle d’intervention conciliante qu’on lui avait demandé auprès du sultan.

À partir de ce moment, il y eut un changement marqué dans la politique de l’Autriche. Elle recouvra une partie de son indépendance vis-à-vis de Saint-Pétersbourg. Pour se débarrasser le plus tôt possible des dangereux voisins qui lui étaient survenus dans la Moldo-Valachie, il fallait trouver une prompte solution au différend turco-russe. Aiguillonnée par la pression géographique que la Russie exerçait sur elle, l’Autriche rechercha cette solution avec une activité impatiente. Parmi les expédiens proposés, M. de Buol repoussa tous ceux qui auraient tendu à prolonger indéfiniment la négociation, il n’admit que ceux qui trancheraient la question sur-le-champ, et mettraient les Russes en demeure de repasser le Pruth au plus vite. Pour atteindre ce but, l’échange des communications entre les cabinets parut à M. de Buol une voie trop lente ; il craignit que la négociation ne fit fausse route à Constantinople ; il voulut l’avoir sous la main à Vienne pour la conduire et la presser. C’était arriver au concert officiel des quatre puissances que M. de Buol avait éludé tant qu’il avait espéré pouvoir prévenir l’occupation des principautés ; c’était constituer ce jury européen sur les affaires de l’empire ottoman que la politique russe a toujours redouté et récusé. M. de Buol réunit donc la conférence de Vienne, et ce fut le premier échec dont la politique russe paya l’occupation des principautés. La formation de la conférence de Vienne avait, pour effet naturel de soustraire progressivement l’Autriche à l’ascendant exclusif de l’alliance russe. La Russie refusa de s’y faire représenter par M. de Meyendorf. Par ce refus, elle s’isola volontairement, tandis que l’Autriche et la Prusse s’unissaient par un lien collectif à la France et à l’Angleterre. La conférence réunie à Vienne donnait d’un côté à l’Autriche un rôle important auquel il était inévitable qu’elle prit goût ; de l’autre, en rapprochant