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À mesure que les événemens marchèrent, quand il fut visible que le moment approchait où l’Autriche serait forcée de rompre avec la Russie et de s’unir à la France et à l’Angleterre, des alarmes et de vives répugnances se manifestèrent dans la haute aristocratie de l’armée. C’était surtout le contact de l’Angleterre, avec les souvenirs de 1848 et de 1849, avec les insultes impunies de la populace de Londres au général Haynau, avec ses ovations à Kossuth et son droit d’asile où s’abritent les réfugiés, qui excitait l’horreur et la terreur de cette partie de la société viennoise. Dans le corps diplomatique, malgré les symptômes, déjà suffisans pour des yeux éveillés, de la tendance de la politique autrichienne vers les puissances occidentales, la majorité était incrédule avant la mission du comte Orlof. Tout ce monde, que la mission du comte Orlof avait mis en mouvement et en espérance, fut dérouté par son échec. Les incrédules du corps diplomatique ne dissimulèrent pas leur surprise ; parmi les Autrichiens, les partisans de l’alliance russe se lamentèrent en montrant la révolution dans l’alliance occidentale. Mais au milieu de cette agitation l’empereur demeura ferme, serein ; tout indiquait en lui la satisfaction d’une conscience qui a lutté, mais qui a pris le parti que lui dictaient le devoir et l’honneur. Ses ministres étaient convaincus qu’ils n’avaient pas eu le choix des conduites. « Je n’ai rien inventé, disait M. de Buol, je n’ai fait qu’hériter de la politique de 1828. » Le vieux prince de Metternich, qui avait assisté à cette profonde révolution du système des alliances en témoin favorable à la politique des puissances occidentales, dut triompher en ce moment dans sa glorieuse retraite.

Le comte Orlof quitta Vienne avec un sourd ressentiment qu’il eut soin de cacher aux Autrichiens, mais qu’il ne dissimula point aux Russes. On dit que, pour ne point affronter le premier mouvement d’humeur de l’empereur Nicolas, il ralentit son voyage avant d’arriver à Saint-Pétersbourg, feignit encore une indisposition, et se fit devancer par un courrier porteur de la nouvelle de son échec. Une heureuse circonstance nous a mis à même de nous faire une idée de l’effet que cette nouvelle dut produire sur le gouvernement russe. Nous avons sous les yeux plusieurs lettres écrites depuis quelques mois de Saint-Pétersbourg par un homme éminent, placé au cœur du gouvernement, pactisan enthousiaste et défenseur éloquent de la politique de l’empereur Nicolas. Dans une de ces lettres, écrite le la février 1854, sous l’impression toute chaude de la nouvelle, l’échec du comte Orlof est apprécié en ces termes :


« La situation générale s’est terriblement aggravée dans ces derniers temps. Nous voilà, selon toutes les probabilités humaines, à la veille d’une des plus épouvantables crises oui aient jamais remué le monde. La Russie voit se