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nous avons toujours vu en même temps grandir et s’étendre le crédit et l’action de la Russie. Quand la révolution s’est calmée, quand elle s’est organisée et régularisée, quand elle a été tolérante et patiente, nous avons toujours vu au même moment décroître l’influence de la Russie sur le continent. C’est justement ce qui arrive aujourd’hui. Le parti russe parle des périls révolutionnaires que l’alliance occidentale ferait courir aux souverains allemands. Eh bien ! que les souverains allemands interrogent l’attitude et l’instinct des révolutionnaires. Nous assistons depuis un an à un spectacle qui a dû les instruire. Les espérances des révolutionnaires se sont exaltées depuis un an, tant qu’ils ont pu croire que l’Autriche et la Prusse feraient cause commune avec la Russie, ils sont tombés dans le découragement, ils sont revenus au sentiment de leur impuissance dès qu’ils ont aperçu que l’Allemagne ne se séparerait point de la France et de l’Angleterre. Ces alternatives d’espérance et d’abattement sont naturelles chez les révolutionnaires. Ils comprennent instinctivement ces deux choses : la première, que si la Russie grandissait par la connivence des souverains allemands, ils pourraient invoquer et tourner contre ces souverains l’intérêt et les forces de l’indépendance européenne luttant contre l’invasion russe ; la seconde, que si les souverains allemands s’unissent à la France et à l’Angleterre, la révolution n’a plus de prétexte et d’appui sur le continent, et n’est plus, à l’instant même, qu’une armée sans drapeau, sans devise, coupée de sa base d’opération. Quel est en Italie ou en Hongrie le libéral, le patriote intelligent et honnête qui voudrait, jouer la destinée de son pays dans un moment où, bien loin de pouvoir compter sur les sympathies morales de la France et de l’Angleterre, des mouvemens insurrectionnels ne viendraient en aide qu’à l’ennemi des peuples occidentaux, à l’ennemi de la liberté générale de l’Europe ? L’alliance de l’Allemagne avec les puissances occidentales a donc d’égaux adversaires dans la Russie et dans la révolution. — Le Cosaque nous sauvera, ont pu dire dans leur cœur certains révolutionnaires à l’origine de cette crise, quand ils pensaient que les gouvernemens allemands ne seraient que les satellites du tsar. — C’est le rouge qui va nous sauver, s’écrie la politique russe, abandonnée par l’Allemagne. Ces deux espérances impies seront également confondues : l’union des forces organisées de l’Allemagne avec les forces de la France et de l’Angleterre refoule du même coup les agitations révolutionnaires et les usurpations russes, et le terrible dilemme, retourné contre ceux qui comptaient en effrayer l’Europe pour la subjuguer, ne frappera qu’eux.

De quel droit d’ailleurs la Russie se présente-t-elle comme la tête et le bras de la cause conservatrice en Europe ? Quand, où, comment