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Au second acte, le délire, toujours grandissant, atteignit son paroxysme, et cette soirée se termina par une sérénade exécutée sous les fenêtres du triomphateur, et à laquelle prirent part tous les artistes du Théâtre-Italien. Rossini fut bientôt lié avec tout ce que la musique, les beaux-arts, les lettres et la société parisienne avaient de notabilités. Plein d’une respectueuse déférence pour les illustres vétérans du Conservatoire, simple et affectueux envers les renommées de sa génération, affable et encourageant pour la jeunesse encore obscure, bon camarade et joyeux convive, il sut concilier en de justes mesures certaines avances, certaines petites flatteries résultant de la situation, et ce qu’il devait à sa propre dignité, à l’éclat de son rang. Rossini visita les pontifes de l’arche-sainte : M. Reicha, le maître de la fugue et du contre-point ; M. Cherubini, le génie de la science, homme considérable à tous les titres, mais qui ne péchait point en général par excès de bienveillance, espèce de Royer-Collard musical, qui vous égorgetait le mieux du monde en ayant l’air de n’y pas toucher. Cette fois cependant l’auteur des Deux Journées se montra bon prince, et consentit à traiter de puissance à puissance, habile mouvement dont Rossini lui tint compte en redoublant d’égards et de complimens. Pour la finesse, la subtilité de l’intelligence et la pénétration du regard, les deux Italiens se valaient ; le vieil aruspice et le jeune s’étaient compris d’un coup d’œil, et, sympathiques ou non, ces deux natures n’avaient rien à redouter désormais l’une de l’autre.

En dehors de ce cercle des patriarches, auquel il faut adjoindre l’honnête, l’excellent M. Lesueur, talent à velléités épiques, noble cœur d’une bonhomie à vous rappeler La Fontaine, — en dehors de ce cercle un peu académique et vivant à l’écart, il y avait le groupe des compositeurs en communication plus directe avec le public. Boïeldieu, esprit aimable et souriant, âme courtoise et pure, vrai chevalier de la muse française ; Hérold, physionomie rêveuse et languissante, complexion maladive que guide au ciel l’étoile de Mozart ; M. Auber, le plus ingénieux, le plus charmant causeur, s’il est permis d’appliquer ce terme au langage des sons, le Rivarol du motif d’opéra-comique, — toute l’élite de notre compagnie chantante se rapprocha du centre générateur, de l’astre-roi vers lequel tant d’affinités antérieures l’entraînaient. Rossini connut alors et fréquenta ces hommes dont son génie s’était d’avance et de loin emparé, et qui, de même qu’on avait vu jadis les Dalayrac et les Grétry subir l’influence de Mozart et de Cimarosa, — sans abdiquer leur originalité, sans cesser de rester fidèles au terroir natal, — devaient s’abandonner à la dérive au courant de ses idées, celui-ci dans la Dame Blanche, celui-là dans Marie et Zampa, le troisième dans la Muette de Portici.