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et que, quant à une cession territoriale, elle ne pourrait avoir pour effet de désarmer les intérêts privés contre lesquels on avait à lutter. Les choses en restèrent là[1].

Des questions d’une importance plus directe et plus immédiate ne tardèrent pas à absorber l’attention des cabinets : il ne s’agissait de rien moins que du partage des dépouilles de l’empire français et des hases à donner à l’équilibre européen. Même avant la chute de Napoléon, de graves dissentimens s’étaient manifestés entre les puissances principales ; on avait pu alors ajourner les solutions : maintenant il fallait en finir, il fallait faire la part, fixer la position de chacun. C’était la tâche réservée au congrès. Les tentatives qu’on avait faites, avant sa réunion, pour se mettre d’accord par des explications préliminaires avaient complètement échoué. La Russie persistait à exiger la cession de tout le duché de Varsovie, que l’empereur Alexandre voulait ériger à son profit en royaume de Pologne. Dans cette combinaison, à laquelle le cabinet de Berlin s’était rallié, la Prusse, renonçant ainsi à son ancienne part de la Pologne, devait recevoir en dédommagement le royaume de Saxe, enlevé à son souverain, qui eût obtenu un établissement dans les provinces rhénanes. L’Autriche et l’Angleterre se montraient absolument contraires à de tels projets : la première, parce que l’agrandissement excessif de la Russie devait compromettre sa sûreté et sa position européenne, autant que l’incorporation de la Saxe à la Prusse eût menacé en Allemagne son antique suprématie ; la seconde, parce que l’équilibre politique, qui est sur le continent son seul intérêt permanent, aurait reçu une trop grave atteinte de semblables arrangemens ; toutes les deux, parce que leur politique traditionnelle et conservatrice répugnait profondément à l’esprit d’aventure et d’innovation qui inspirait les conseils de Saint-Pétersbourg et de Berlin.

Cette séparation des quatre grandes puissances naguère coalisées contre Napoléon ouvrait au gouvernement français des chances inespérées. Peu de mois auparavant, on avait cru faire envers lui acte de générosité et de courtoisie en l’admettant à prendre part au congrès, et chacun pensait alors qu’il n’y paraîtrait que pour la forme, qu’en réalité il ne lui serait pas permis d’intervenir dans la répartition des territoires dont le sort des armes lui avait enlevé la possession. Maintenant il était évident que la force des choses allait le rendre en quelque sorte l’arbitre de l’Europe. Seul de toutes les grandes puissances continentales, il avait cet avantage que, le traité de Paris ayant définitivement réglé son état de possession, il n’avait rien

  1. On sait que l’année suivante la France, placée dans des circonstances qui ne lui laissaient plus sa liberté d’action, consentit a l’abolition immédiate de la traite.