Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/958

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et l’empêcher de trouver des auxiliaires parmi les hommes qui, sans aimer sa domination, pouvaient craindre pour leur pays les conséquences d’une invasion étrangère. Les Prussiens seuls, entraînés par ce patriotisme haineux et révolutionnaire dont leur gouvernement subissait l’impulsion, ne se prêtaient pas à cette tactique. Les proclamations de quelques-uns de leurs généraux et de leurs commissaires étaient écrites dans un style qui inquiétait parfois la prudence de leurs confédérés, en leur rappelant l’effet produit en 1792 par le manifeste du duc de Brunswick. Les Prussiens au moins avaient dans les emportemens auxquels ils s’abandonnaient le mérite de la franchise ; on voyait clairement que la France et Napoléon leur étaient également odieux. Les protestations amicales des autres gouvernemens alliés étaient-elles du moins complètement sincères ? Il est permis d’en douter, lorsqu’on voit lord Castlereagh écrire dès le 26 mars au duc de Wellington que la guerre ne pouvait plus être faite d’après les principes adoptés l’année précédente, que les Anglais, en s’opiniâtrant à y porter la même modération, ne réussiraient qu’à être honnêtes pour leur propre compte et à rendre leurs confédérés plus odieux, et qu’à son avis la France devait cette fois payer le prix de sa libération.

Un trait qui peint les sentimens dont les Prussiens étaient animés contre tout ce qui portait le nom de Français, c’est le refus fait par leur généralissime, le vieux prince Blücher, qui commandait l’armée dirigée par eux sur la Belgique, de recevoir à son quartier-général le commissaire que Louis XVIII avait cru devoir y envoyer comme il en avait envoyé d’autres auprès des autres généraux étrangers. Il ne voulait permettre à aucun Français, pas même à ceux qui étaient restés attachés au service du roi exilé, de résider sur le territoire occupé par ses troupes. Le prince de Wrède, commandant en chef des forces bavaroises, crut devoir imiter ces procédés blessans, que le duc de Wellington désapprouvait et déplorait.

Au milieu de ces mauvais vouloirs et de ces équivoques bienveillances, c’était une triste situation que celle de Louis XVIII, qui, retiré à Gand, entouré de quelques courtisans, d’un petit nombre de réfugiés appartenant à toutes les nuances de l’opinion monarchique, de quelques débris de sa maison militaire, et ne pouvant espérer un retour de fortune que des succès des étrangers, s’attachait à faire encore acte de royauté, nommait des ministres, tenait conseil avec eux, recevait leurs rapports, et affectait d’entretenir avec les gouvernemens alliés les relations ordinaires de la diplomatie. Ces exilés n’étaient pas même d’accord entre eux. Tandis que les uns pressaient de leurs vœux, de leur insistance, la marche des troupes étrangères et se permettaient même de stimuler la prétendue lenteur du duc