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d’ardeur. L’empereur Alexandre, par générosité comme par calcul, s’y montrait contraire, mais on ne retrouvait plus en lui, en faveur du gouvernement français, cette bienveillance chaleureuse dont on l’avait vu animé l’année précédente ; il conservait un souvenir pénible de la répugnance que la maison de Bourbon avait témoignée à contracter avec lui une alliance de famille et de la ligne de conduite suivie au congrès de Vienne par M. de Talleyrand. Tant que ce ministre resta à la tête des conseils de Louis XVIII, les rapports des deux états eurent quelque chose de froid et de contraint ; il fut bientôt évident que, si Alexandre était bien décidé à ne pas laisser imposer à la France des conditions qui l’eussent fait disparaître du nombre des puissances de premier ordre, il n’était nullement disposé à se brouiller avec ses alliés pour lui épargner quelques sacrifices.

La France, qui naguère avait repoussé l’alliance russe pour se livrer à celle de l’Angleterre, pouvait-elle du moins se flatter de l’espérance de trouver dans l’appui du cabinet de Londres une compensation de ce qu’elle avait perdu dans l’amitié du cabinet de Saint-Pétersbourg ? Il était permis d’en douter. Lord Castlereagh et le duc de Wellington, réunis alors à Paris, témoignaient, il est vrai, au gouvernement français des intentions bienveillantes ; mais celles des autres ministres anglais, et particulièrement du premier lord de la trésorerie, de lord Liverpool, étaient bien différentes. Les lettres que cet homme d’état écrivit à cette époque à lord Castlereagh sur les affaires de France sont empreintes d’une haine passionnée qui fait un contraste singulier avec la modération habituelle de son esprit. L’irritation de la lutte, le souvenir des immenses dangers auxquels l’Angleterre s’était vue si longtemps exposée avaient en quelque sorte transformé son caractère. On sait avec quel regret il avait vu Napoléon échapper au dernier supplice : les vœux qu’il exprimait pour le châtiment de ses complices n’étaient pas moins ardens. En apprenant la capitulation de Paris, il disait que sans doute elle ne serait pas interprétée comme les mettant à l’abri des poursuites de la justice. Bientôt après il se plaignait d’un excès d’indulgence dans lequel il voulait voir une preuve de faiblesse ; il n’osait pas espérer qu’une administration où l’on s’était cru forcé d’admettre quelques-uns des membres du parti jacobin fût en mesure de faire justice des conspirateurs, mais il le déplorait d’autant plus que des exemples sévères étaient, suivant lui, l’unique moyen d’affermir la restauration. Plus tard, après l’exécution de Labédoyère, mais avant celle de Ney, des frères Faucher, de Mouton-Duvernet, de Chartran, il parlait du mécontentement qu’excitait en Angleterre l’impunité qui, à une seule exception près, couvrait encore les auteurs