Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/973

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si Bonaparte eût gardé le pouvoir. Il est impossible de deviner quelle ligne de conduite adopteraient le roi et son gouvernement, si l’on demandait au pays une cession considérable. Il est certain cependant que, soit qu’il y consentit ou qu’il n’y consentit pas, la situation des alliés serait très embarrassante. — Si le roi refusait… et faisait un appel à son peuple, il est hors de doute que les divisions qui ont fait jusqu’à présent la faiblesse de la France cesseraient à l’instant. Les alliés pourraient prendre les forteresses et les provinces qui leur conviendraient, mais il n’y aurait pas de paix véritable pour le monde, aucune nation ne pourrait désarmer, aucun souverain ne pourrait détourner son attention des affaires de ce pays. Si le roi au contraire consentait à la cession demandée ; ce qui n’est nullement probable d’après tout ce qu’on entend dire, les alliés, il est vrai, seraient satisfaits et devraient se retirer ; mais j’en appelle à l’expérience des événemens de l’année dernière pour apprécier la situation où nous nous trouverions nous-mêmes. Nous devons…, si nous nous décidons à exiger des cessions considérables, nous bien persuader que la guerre n’est différée que jusqu’à ce que la France ait trouvé une occasion favorable de regagner ce qu’elle aura perdu, et après avoir épuisé nos ressources à entretenir un établissement militaire excessif en temps de paix, nous finirons par reconnaître combien peu les territoires ainsi obtenus nous donneront de moyens de repousser un effort national tenté pour nous les enlever. -… La France en révolution serait, suivant toute apparence, plus dangereuse pour le monde que la France, même avec une forte frontière, sous un gouvernement régulier, et telle est la position où nous devons essayer de la placer. — Dans cette pensée, je préfère l’occupation temporaire de quelques-unes des places fortes et le séjour pour un temps d’un corps considérable de troupes alliées, le tout aux dépens de la France…, à la cession permanente même de toutes les places que, à mon avis, il est bon d’occuper pour un temps… »


On comprendra, en lisant cette lettre, que j’aie cru devoir la citer presque tout entière. Le duc de Wellington ne borna pas là ses efforts. Bientôt après, en réponse à une proposition d’un des ministres allemands, qui, tout en réduisant ses premières exigences, persistait à demander la cession de plusieurs places fortes et le rasement de quelques autres, il remit à lord Castlereagh un mémorandum dans lequel, après avoir reproduit les raisons de droit et de justice qui repoussaient cette prétention, il ajoutait ce qui suit :


« La convenance d’une telle demande dépendra d’une variété de considérations politiques et militaires dont voici quelques-unes : — Est-ce la possession des forteresses en question qui donne à la France la force redoutable dont on se plaint, et en les faisant passer entre les mains des alliés leur transférerait-on aussi cette force ? N’est-ce pas une combinaison de population, de ressources pécuniaires et de force artificielle qui rend la France si formidable ? Et transférer cette dernière force seulement à quelques-uns des alliés, tandis que la France garderait les deux autres dans leur entier, en d’autres termes, donner aux alliés les places fortes sans les ressources additionnelles