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les excès commis par les troupes alliées, et surtout ceux de quelques-uns des corps placés sous ses ordres, excitent chez lui une indignation, exprimée même, en certaines circonstances, avec une violence, un emportement qu’on peut trouver exagérés, il ne faut pas croire qu’il essaie de s’en faire un mérite auprès de ceux dont il défend les intérêts avec tant de vivacité : — bien loin de là, c’est sur un ton de colère, c’est avec des récriminations souvent outrageantes qu’il répond aux plaintes qui lui parviennent, et dont il se réserve pourtant, à part lui, de tenir bon compte. Il est évident que la dureté de son langage tient précisément au dépit qu’il éprouvait de n’être pas en mesure d’empêcher les excès qu’on lui signalait : ne pouvant les nier, il récriminait. De même, nous l’avons vu, après s’être d’abord montré contraire à la pensée d’enlever du Louvre les monumens d’art, avancer, à l’appui de cet enlèvement, lorsqu’il se vit forcé d’y prêter la main, moins des raisons que des injures. De même, pendant le procès du maréchal Ney, lorsqu’on lui allégua un article de la capitulation de Paris, qui, disait-on, lui imposait l’obligation d’intervenir pour le sauver, il repoussa les adjurations de la maréchale avec une sécheresse regrettable, et le mémorandum qu’il rédigea sur cette question si grave et si triste laisse trop voir qu’il n’était touché que du soin de dégager sa responsabilité.

La stricte justice plus ou moins bien entendue, le sentiment de ses devoirs envers son pays, le soin de sa propre dignité, que le duc de Wellington portait très haut, comme il en avait certes le droit, telles étaient les règles de sa conscience, les mobiles de toutes ses actions. Un semblable caractère, uni à de grands talens, mérite sans doute le respect, et, dans une certaine mesure, l’admiration de loyaux adversaires ; mais il ne peut prétendre à leurs sympathies. On doit comprendre que celles de la nation française se soient portées de préférence sur l’empereur Alexandre, qui paraissait attacher tant de prix à ses suffrages, et par cela même lui donnait un gage non équivoque de bienveillance et d’estime. Il est digne d’un grand peuple de réserver ses prédilections, non pas précisément à ceux qui lui font le plus de bien ou lui épargnent le plus de mal, mais à ceux qui, dans les jours de mauvaise fortune, le relèvent à ses propres yeux par les sentimens qu’ils lui témoignent.


LOUIS DE VIEL-CASTEL.