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ils disaient qu’ils étaient au moment de secourir la place quand elle avait capitulé, que ce n’était point ainsi que Leyde avait été défendue, que là le bourgmestre avait offert au peuple affamé son sang et sa chair, que treize mois de siège étaient peu de chose pour une ville telle qu’Anvers, que la faim n’était pas une excuse, que sans doute l’or de Farnèse avait été plus puissant. Et sans délibérer plus longtemps, les états de Hollande proscrivirent Aldegonde. Le mot terrible avait été prononcé, — il était vendu au parti de l’étranger ! C’est avec ce mot que l’on tuera Barneveldt et les de Witt.

D’autre part, ceux qui avaient vu de près les événemens, et en général les Belges, faisaient une réponse que l’on entend encore de nos jours. Ils répétaient que si Anvers était réduit, c’est que les Hollandais l’avaient bien voulu, que leur assistance n’avait jamais été sincère, qu’ils s’étaient mis trop tard à la voile, et qu’ensuite ils étaient retombés dans leur inertie au mouillage de Lillo ; que la condamnation de l’amiral Treslong n’avait été que feinte, puisqu’ils s’étaient bientôt hâtés de l’absoudre ; que la cause de tant de contradictions et de tergiversations était évidente ; que sans doute une ville telle qu’Anvers leur faisait ombrage ; qu’ils étaient jaloux de sa prospérité, de sa magnificence, de ses cent mille habitans, de ses fabriques de draps, de serge, de son commerce, qui visitait le monde ; qu’ils espéraient bien hériter de ses dépouilles, et agrandir de ses ruines leurs misérables villages de chaume, Amsterdam et La Haye, encore noyés dans la fange batave ; que leur douleur était mensongère autant que leur amitié. L’injustice même dont ils poursuivaient Aldegonde prouvait assez qu’ils avaient quelque chose à cacher. Ces discours ont encore aujourd’hui des échos en Belgique.

Dans ce grand procès, un point reste établi : le témoignage de tous les hommes de guerre du XVIe siècle. Lanoue Bras de Fer, Maurice de Nassau, déclarent qu’il est impossible d’adresser un reproche sérieux à Marnix. Lanoue, dont la tête valait, dit-on, une armée, le comble d’éloges[1] ; il reconnaît que lui-même eût été incapable de sauver Anvers. Que pouvait Aldegonde, dont nous avons vu presque tous les ordres méconnus[2] ? Prendre de vive force l’autorité, commander absolutement à la française[3], le jour où l’on refusa de rompre les digues ? Quelques-uns lui proposèrent de mettre la main sur le conseil sans avoir la moindre intention de l’y aider, presque tous l’en soupçonnèrent et se tinrent dès lors sur leurs gardes ; pour

  1. « Le sieur de Lanoue loua grandement Aldegonde, car il n’avait rendu la ville que lorsqu’il n’y avait point moyen de la secourir et de la tenir plus longtemps. » Meteren, liv. XII, fol. 251.
  2. Annales Antverpienses, t. IV, p. 92.
  3. Mot de Granvelle.