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servant de monnaie, passait de mains en mains jusque chez les plus pauvres. C’était, avec une publicité incessante, ce que nous appelons aujourd’hui l’illustration appliqué comme mesure de salut aux grands intérêts d’un peuple. Les états, les communes même parlèrent admirablement cette langue. De courtes inscriptions accompagnaient les figures. C’était un mot presque toujours profond, énergique : le mot d’ordre de la révolution. Tel qui ne pouvait lire la légende s’attachait à l’image. C’était, au plus fort du danger, une main qui sort des cieux, armée d’une épée avec la devise : Je maintiendrai, ou encore : Ne pas désespérer, nil desperandum. Les époques étaient aussi représentées : 1568, sous le duc d’Albe, c’était un squelette ; 1570, un Espagnol debout entre la mort et la famine ; 1577, des épis qui renaissent sous les pas d’une armée ; la pacification de Gand, un vaisseau qui entre dans le port ; Harlem pendant le siège, un bourgeois accoudé et rêvant sur deux têtes de morts et des ossemens ; Anvers, un pèlerin qui va demander assistance. Leyde criait sur ces médailles : Plutôt turc que papiste : la Hollande au milieu des eaux : Je lutte et je surnage ; Middelbourg : Ce n’est pas le roi, c’est la faim qui m’a vaincu ; la Zélande : Veillez sur la terre, moi sur la mer. Les individus avaient leurs emblèmes : celui du père Guillaume était un nid d’alcyons toujours tranquille au milieu d’une mer en furie. Pour marquer le ressentiment des Frisons, un homme armé d’un maillet entaille profondément un rocher, avec ces mots : Il grave ses offenses dans le marbre. Quelques médailles sont ironiques, telles que Granvelle sortant des Pays-Bas monté sur un âne, la Belgique foulée comme la vendange sous le pressoir des inquisiteurs et du roi. À mesure que la lutte s’invétère, l’ironie disparaît, le côté tragique et religieux remplit tout. Dieu est avec nous (Gool met ons), c’est le cri du triomphe depuis 1575. Quelle influence dut exercer un moyen ainsi répété de propagande ! Où est le discours, le livre qui eût valu de pareils signes ? Le soldat, le matelot, l’ouvrier n’était jamais abandonné à lui-même ; il entendait partout autour de lui le cri des choses ; il voyait, il touchait la plaie et le remède. La révolution parlait incessamment à la foule par des milliers de bouches de bronze.


XV

Après une vie déjà si féconde, il restait à Marnix à composer le plus considérable de ses ouvrages, celui qui faisait dire à Bayle qu’Aldegonde avait arraché à l’église romaine plus d’esprits que Calvin. Aucun historien, ni aucun biographe, depuis la fin du XVIIIe siècle, ne paraît avoir eu connaissance du Tableau des différends de la