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yeux sur la Court-Circular, vous y verrez son nom en première ligne, et vous y lirez avec étonnement (un étonnement mêlé d’indignation) que sa grâce vient d’administrer le sacrement de la confirmation à un certain nombre de jeunes nobles. La cérémonie a eu lieu dans la chapelle royale. N’est-ce pas là le beau idéal de la hiérarchie ? La chapelle royale devient, comme les salons d’Almack, un rendez-vous d’exclusifs. La confirmation ne se donne pas aux « jeunes nobles » comme à tout le monde. Voilà le snobbisme introduit dans le sanctuaire, et, pour un peu, voilà Dieu devenu snob !

Quittons pourtant ces hautes régions, où la vérité a je ne sais quelles apparences de dénigrement envieux, pour des travers plus rapprochés de notre humble sphère. Il y a des snobs partout. Dans les clubs par exemple, ils fourmillent, ils foisonnent, et Thackeray connaît la vie de club. Il va nous montrer le snob politiquant, celui qui raconte les conseils lumineux dont il a gratifié sir Robert Peel sur la question des céréales, ou bien encore celui qui possède tous les secrets des cours étrangères, sait par cœur le discours du président des États-Unis ! — et pourrait vous nommer sans en omettre un, — prodige d’érudition et de mémoire ! — tous les chefs de partis, soit en Espagne, soit en Portugal. Il a ses auditeurs, et qui l’admirent, et dont il n’excède jamais la crédulité toujours patiente, toujours résignée. Dans les clubs aussi se rencontre l’homme qui fait état de caresser, de flagorner un chacun, de serrer toutes les mains, de mendier tous les sourires : c’est évidemment un snob. En voici deux d’une humeur bien différente : ils ne causent avec personne, et l’odeur de cigare qui empeste leur voisinage fait du reste le vide autour d’eux : ce sont deux sportsmen, grands connaisseurs en chevaux, qui, de même que les bavards politiques datent chaque époque par le nom d’un ministère, comptent, eux, par naissances inscrites au Stud-Book ou par grands prix décernés à Epsom. En fait de littérature, ils n’ont jamais pu supporter que la Bell’s Life[1]. Les clubs ont aussi leurs snobs à bonnes fortunes, pauvres papillons frivoles qui s’entr’aident à se repaître de vides espérances ou de triomphes plus vides encore. Titmarsh n’a pas négligé, mais il traite avec une indulgence relative ces héros de la fanfaronnade amoureuse ; leur étourderie le désarme, et peut-être leurs illusions lui font-elles envie.

Deux esquisses fort agréables se détachent de cette série de portraits et méritent qu’on leur réserve une place à part. Il s’agit du snob à la campagne et du snob millionnaire. N’allez pas croire en effet que Londres ait le monopole des snobs ; si vous tombiez dans

  1. Bell’s Life in London ; c’est le journal des courses, des haras et des chasseurs, ou pour tout réunir eu un mot, le journal du sport.