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existe entre les Ponto et les Carabas ; mais il est bon de savoir que le représentant de cette orgueilleuse famille (la dernière, bien entendu) avait circonvenu le major, à son arrivée dans le comté, pour le rallier à une candidature compromise. L’élection faite, Ponto, qui s’était laissé séduire, comptait sur la reconnaissance du nouveau membre des communes, et mistress Ponto se croyait déjà présentée aux bals d’Almack, par la femme du chef des Carabas, l’altière lady Saint-Michael ; mais il fallut reconnaître le néant des leurres électoraux, subir les strictes politesses du grand seigneur redevenu lui-même, et les dédains encore moins ménagés dont les grandes dames accablent, à ce qu’il semble, les campagnardes assez osées pour vouloir se produire, grâce à elles, dans les cercles exclusifs de la capitale. Inde iroe. — À ceci viennent s’ajouter les griefs naturels de deux voisins de campagne qui, brouillés une fois, mettent un soin tout particulier à se prodiguer les procédés fâcheux. Ponto, qui n’est plus invité à venir chasser chez Carabas, s’en dédommage en braconnant quelque peu le long de ses haies ; c’est du moins ce que lui reproche en termes assez peu révérencieux un des gardes-chasses du marquis certain jour que Titmarsh et son amphitryon se sont avancés jusqu’à l’extrême frontière des deux domaines, et la scène est réellement plaisante, mais on ne peut tout citer. Nous donnerions sans cela tout entière la visite au château de Carabas, description excellente d’une de ces grandes résidences ruineuses que la loi des substitutions impose à certains nobles, avec la fortune desquels ces demeures princières contrastent de la façon la plus étrange. En dépeignant ces grandes salles froides, où les maîtres absens et même présens n’entrent jamais ; — ces étangs dont s’empare, faute de soins, une végétation marécageuse ; — ces galeries somptueuses où moisissent sans spectateurs des tableaux amenés à grands frais du continent ; — ces bocages épais qui n’existeraient pas, et depuis longtemps, si la loi ne les maintenait, malgré le propriétaire obéré, sur le terrain qu’elle garde à ses héritiers, — Thackeray s’est presque trouvé poète, et ceci ne lui arrive pas assez souvent pour qu’il ne faille pas le remarquer.

Un beau matin surviennent à grand bruit chez Ponto le fils de la maison, cornette au 120e de hussards, et un de ses camarades de corps, le jeune lord Gules, petit-fils et héritier de lord Saltires. Ce futur pair d’Angleterre n’est, en attendant, qu’un officier du plus mince mérite, chétif de corps et d’esprit, illettré jusqu’au ridicule. N’importe, voici la maison en révolution. Pour bien peu de chose, on sommerait Titmarsh d’évacuer la chambre jaune, que son âge et son droit d’ancienneté devraient cependant lui garantir. Il s’agit de lord Gules, et mistress Ponto ne sait plus où elle en est. Or quel est le