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romans, — et c’est là une tentative dont aucun médiocre esprit ne s’est jamais avisé, — le mouvement varié des organisations humaines, le miroitement, si l’on peut ainsi parler, qui montre tour à tour le même type, si accusé qu’il paraisse d’abord, sous les aspects les plus imprévus et les plus divers.

Si nous nous étions astreints à une nomenclature rigoureusement chronologique des ouvrages de Thackeray, il aurait fallu, nous le croyons, mentionner le Diamant des Hoggarty avant Vanity Fair et Pendennis. Ce petit récit, pour lequel l’auteur professe une prédilection marquée, est en effet, de tous ceux qu’il a écrits, un des plus sympathiques au lecteur ; il y a moins d’amertume secrète, il y a plus de bonhomie enjouée que dans les autres. Je ne sais pourquoi j’imagine qu’il a dû être écrit en France, par quelque belle matinée de printemps, dans les combles d’un hôtel des Champs-Elysées, où Thackeray avait placé, il y a quelques années, son cabinet de travail, et d’où il dominait toute une série de verdoyans horizons. Ce n’est pas, — entendons-nous bien, — que le livre ne soit anglais de fond en comble, anglais intùst et in cute ; mais il y rayonne je ne sais quelle douce lumière, il s’y épanche un bien-être moral, une satisfaction intime qui ne sentent ni les brumes de Londres, ni le spleen proverbial qu’elles engendrent. Du reste, en réunissant le Livre des Snobs et le Diamant des Hoggarty dans le même volume, les éditeurs allemands des œuvres de Thackeray ont montré un vrai sentiment des analogies[1]. Ce diamant de famille, — bijou ridicule, s’il en fut, — devient pour un bon et naïf jeune homme une sorte de talisman vainqueur, qui fait, à vrai dire, toute sa destinée, Et comment la fait-il ? En lui conciliant le respect, en lui attirant l’appui de tous les snobs qui se laissent éblouir par ses rayonnemens fascinateurs.

Quelque délicate que soit toujours une hypothèse en pareille matière, nous croyons pouvoir en risquer une à propos du Diamant des Hoggarty : c’est qu’il a inspiré à Charles Dickens, — et plus peut-être que celui-ci n’en voudrait convenir, — son roman autobiographique de Davy Copperfield, postérieurement publié. On doit bien comprendre qu’il s’agit simplement ici d’une filiation d’idées, et peut-être d’un secret défi porté à un rival qu’on admire. Ce qui est certain, c’est que le ton général des deux ouvrages est identiquement le même. Les deux héros du récit ont le même caractère candide et inoffensif ; ils se trouvent aux prises avec des difficultés qui se ressemblent fort, et enfin chacun d’eux a une tante qui figure dans

  1. Les élégantes éditions des écrivains anglais contemporains, de Tauchnitz de Leipzig, se trouvent à Paris, chez Reinwald, rue des Saints-Pères.