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du roi en Provence. C’était une position considérable et d’autant plus importante qu’en l’absence du duc de Vendôme, gouverneur de Provence en titre et qui n’y parut jamais, le lieutenant-général devait exercer seul et sans partage, pendant toute l’année, la principale autorité. M. de Grignan accepta et partit au mois d’avril 1670, sans sa femme, qu’on ne voulut pas exposer en ce moment aux chances d’un voyage de douze ou quinze jours, temps alors nécessaire pour aller de Paris à Aix. Le comte de Grignan laissait aussi à Paris son frère cadet, le chevalier de Grignan, jeune, sémillant, aimable et d’une belle figure. Un jour, le 4 novembre 1669, le chevalier était violemment tombé de cheval en présence de sa jeune belle-sœur, alors enceinte, et dont l’émotion eut des suites fâcheuses. L’événement ayant transpiré, les rimeurs du temps (on sait par Bussy qu’ils ne respectaient rien) en firent le texte de chansons injurieuses pour la comtesse de Grignan. Un grave et savant académicien a publié, en faisant d’ailleurs toutes ses réserves, dans un ouvrage consacré a la louange de Mme de Sévigné, le couplet suivant, où le comte de Grignan est désigné par le surnom de Matou, « à cause, dit M. Walckenaër, de sa mine ébouriffée. » On me pardonner à de reproduire ici ce méchant couplet :

Belle Grignan, vous avez de l’esprit
D’avoir choisi votre beau-frère ;
Il vous fera l’amour sans bruit
Et saura cacher le mystère.
— Matou, n’en soyez pas jaloux :
Il est Grignan tout comme vous[1]. »

Ces calomnies circulèrent sans doute de nouveau quand le comte de Grignan quitta Paris pour sa nouvelle résidence. Faisant de ces satires le cas qu’elles méritaient, confiant dans l’affection que Mme de Sévigné portait à sa fille, le comte de Grignan se rendit donc au poste que le roi lui avait assigné, poste honorable, mais plein de difficultés à raison de la réunion annuelle des députés des communes de Provence et des conflits d’autorité qui en résultaient souvent. Nous allons l’y suivre afin de voir, à l’aide de documens administratifs récemment mis au jour, comment fonctionnaient les assemblées publiques dont quelques provinces, la Provence entre autres, avaient, comme on sait, le privilège, avant la révolution de 1789.

  1. Mémoires sur madame de Sévigné, par le baron Walckenaër, t. III, p. 285.