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sur une forteresse de la Russie. Chacun deux voulait apporter personnellement et de plus près ses vœux et son cœur à la cause de la coalition nouvelle, chacun deux aspirait pour ainsi dire à se mêler à ces grandes scènes ; chacun voulait les graver dans son souvenir.

Les plus pressés partirent de Stockholm trois jours avant la prise Bomomarsund, le 13 août. C’était de la témérité, puisque la mer des Aland n’était pas encore aux alliés, et qu’il devait être difficile, sinon impossible, de se procurer des pilotes pour une navigation toujours périlleuse dans ces parages. Le dangereux empressement de cette première expédition fut puni, et les passagers du paquebot à vapeur le Sunilsvall eurent plus d’occasions qu’ils n’en auraient voulu d’exprimer leurs sympathies envers les flottes alliées. En effet, le soir du premier jour, leur navire, mal dirigé, donna contre un des innombrables écueils qui rendent l’archipel des Aland si redoutable. Après quelques heures d’angoisses, leur canon de détresse attira l’attention d’une frégate française, la Vengeance, à l’ancre aux environs. Des chaloupes leur furent immédiatement envoyées, et, après un pénible travail de dix-huit heures, les officiers et matelots français parvinrent à remettre le navire à flot. Ce n’est pas tout. Le long retard qui était survenu avait épuisé les vivres des malheureux touristes, et la frégate, française n’hésita pas à leur offrir, sans accepter le moindre remboursement, les provisions nécessaires pour cent passagers, La gaieté et l’entrain de nos marins, infatigables pendant un ennuyeux travail de toute une nuit, et l’offre généreuse qui avait suivi leur secourable assistance inspirèrent aux voyageurs du Sundsvall une gratitude qu’ils ont exprimée depuis dans une adresse à la légation française de Stockholm.

Les bateaux à vapeur qui entreprirent le même voyage après la prise de Bomarsund étaient assurés d’avance d’un meilleur succès. La victoire du 10 avait ouvert, des Aland à Stockholm, comme une grande rue désormais facile à parcourir dans tout son cours, grâce aux bouées et aux signaux qu’avaient placés nos marins. Dans la journée du 19 août, quatre bateaux à vapeur quittèrent le port de Stockholm en destination des Aland. L’un d’eux, le Svithiod, appartenant à M. Schwan, un des principaux députés de l’ordre de la bourgeoisie, portait, avec son propriétaire, un certain nombre de députés invités par lui, des savans et des publicistes ; c’était au milieu de cette bonne compagnie que, grâce à l’invitation de M. Schwan, j’avais trouvé place. La traversée de Stockholm jusqu’à la grande île d’Aland est de douze ou treize heures ; mais elle se fait presque entièrement au milieu des deux immenses archipels d’Aland et de la Suède, de sorte qu’elle n’offre réellement de l’alignes qu’au capitaine et au pilote.

Nous arrivâmes à dix heures du soir à Ledsund, où nous rencontrâmes la première division des flottes alliées. Il y avait là plus de trente navires, et parmi eux quelques-uns des plus majestueux et des plus redoutables qu’eussent jamais vus les mers. Leur masse imposante marquait la force. Les vives lumières et le mouvement animé que laissaient voir les ouvertures de leurs quatre étages rappelaient que cette force était au service du génie occidental, du génie de l’activité intelligente. La soirée était magnifique ; des éclairs sillonnaient