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exacte mesure de la situation présente militairement et diplomatiquement. Ils sont le meilleur commentaire de la politique occidentale, et viennent à l’appui des conditions de paix récemment formulées par l’Angleterre et par la France, acceptées par l’Autriche et transmises par elle à Saint-Pétersbourg. On sait donc aujourd’hui comment la guerre se dessine, sur quelles forces réelles peut compter l’Europe et comment la paix est possible. On a sous les yeux les élémens principaux de cette grande complication telle qu’elle apparaît au moment actuel. La guerre sans nul doute occupe la première place, et l’incident le plus saillant est l’heureux fait d’armes par lequel nos troupes viennent de signaler leur présence dans la Baltique.

C’est le 16 août que la forteresse de Bomarsund a été enlevée par l’action combinée des deux flottes et du corps expéditionnaire de débarquement récemment parti de France. Il a suffi de peu de jours pour accomplir cette brillante opération. L’ardeur et la promptitude de nos soldats ont laissé à peine un intervalle entre l’attaque et le succès. Deux mille prisonniers ont été faits ; le commandant de la forteresse, le général Bodisco, est resté entre les mains des chefs de nos forces, et le drapeau des puissances alliées a flotté sur l’archipel d’Åland, d’où la Russie dominait le golfe de Bothnie et le golfe de Finlande. Il n’y a point évidemment à exagérer la portée de ce fait d’armes, et la preuve en est que l’Angleterre et la France abandonnent les îles d’Åland après en avoir détruit les fortifications : c’eût été une conquête onéreuse ; mais la prise de Bomarsund est faite peut-être pour montrer à la Russie qu’elle n’est point invulnérable derrière ses murs de granit. C’était en outre le premier acte de guerre sérieux et décisif accompli dans la Baltique ; il a fait apparaître les soldats de l’Occident parmi ces populations soumises à la puissance russe, et sous ce rapport la prise de Bomarsund est de nature à laisser des traces, en même temps qu’elle montre ce que peuvent des troupes exercées, animées de l’esprit de la guerre.

Sur un autre théâtre, en Orient, les armées alliées se préparent à des opérations qui semblent devoir être plus considérables et qui sont peut-être commencées aujourd’hui. Un corps nombreux, un matériel immense devaient être embarqués à Varna ; seulement vers quel point doit se diriger cette expédition ? Est-ce sur Odessa ? est-ce sur Sébastopol ? Les armées anglo-françaises vont-elle simplement prendre position dans la Crimée ? Il serait difficile, on le conçoit, de pénétrer avec précision le secret des opérations militaires qui vont s’accomplir. Ces opérations seront exécutées par des troupes aguerries, avec des moyens suffisans ; là est l’essentiel. Par malheur les armées alliées ont eu à subir les atteintes d’un fléau plus cruel que la guerre, et qui a même frappé quelques-uns des chefs de nos soldats : le général duc d’Elchingen, le général Carbuccia, deux vaillans hommes dont le nom était rappelé l’autre jour à l’Académie, comme pour montrer qu’il y a d’autres vertus que les vertus qui vont chercher leur récompense à l’Institut. C’est au milieu de cette épreuve inattendue que notre armée a dû se préparer à une expédition au sujet de laquelle le maréchal Saint-Arnaud disait récemment à ses soldats : « Nous reverrons notre patrie victorieux, ou nous ne la reverrons pas ! » il est donc permis de prévoir des événemens prochains en Orient, et l’action des armées alliées peut d’autant mieux s’é-