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blique universelle et gratuite, l’administration de la justice par le jury, l’abolition de la conscription et de la peine de mort, la réduction de l’armée permanente et l’armement universel du peuple, le tout enfin couronné par un procès en règle fait à la reine Christine devant les cortès, chargées de juger ses crimes. Si c’était un acte de haute diplomatie de la part du duc de la Victoire d’accepter la présidence d’un tel club, on peut trouver la diplomatie singulière. Depuis, dans un banquet offert par la presse au ministère, Espartero, président du conseil, oubliait tout simplement le nom de la reine dans ses toasts, et il fallait que le général O’Donnell réparât cet oubli en invoquant le nom d’Isabelle II. C’était là, dans un détail vulgaire, la révélation de l’état intérieur du gouvernement, qui n’est pas faible seulement par la faute des circonstances, mais parce qu’il y a en lui deux tendances diverses, deux politiques, l’une toujours trop prête à transiger avec tout, l’autre sentant le besoin de réagir contre l’anarchie et de rendre au pays les garanties de sécurité sans lesquelles il ne peut vivre.

C’est la première de ces politiques qui a régné jusqu’ici, c’est la dernière qui semble se faire jour depuis peu. Le ministère ne s’est pas contenté de prononcer la dissolution des juntes révolutionnaires ; à Madrid, le gouverneur civil a remis en vigueur la législation de 1837 sur la presse, législation certes peu oppressive, mais qui exige quelques garanties ; il a restreint le droit de réunion aux électeurs. Enfin le gouvernement, après avoir consenti à retenir la reine Christine en otage, a fini par décider et protéger son départ pour le Portugal. Ce n’est pas sans difficultés, il est vrai, que le gouvernement a pris ces mesures ; mais ces difficultés mêmes n’ont fait que donner un caractère plus prononcé à une certaine réaction. Les prétentions des clubs, qui réclamaient la révocation du gouverneur civil, ont été nettement repoussées. Un mouvement provoqué par le départ de la reine Christine a été comprimé à l’aide de la milice nationale. Redevenu plus maître de lui à Madrid, le gouvernement aura-t-il la force suffisante pour dompter les résistances dans les provinces, s’il s’en produit ? ici malheureusement se présente une question grave : c’est l’état de l’année. Il a été promis aux soldats qui se sont prononcés en juin et en juillet une réduction de deux années de service. Quand on a voulu tenir cette promesse, on s’est aperçu que si on la tenait seulement à l’égard des soldats insurgés, on mécontenterait tous les autres ; on risquait de créer deux camps dans l’armée. La réduction alors est devenue générale, et il en résulte qu’au moment où l’armée serait le plus nécessaire, elle se trouve tout à la fois numériquement réduite, et moralement atteinte, ainsi que l’atteste plus d’une sédition militaire. Voilà de quelles difficultés est entouré le gouvernement espagnol. C’est dans cette situation que les élections se feront d’ici à quelque temps. Ces élections, suivant leur esprit, auront sans nul doute une influence considérable, car des cortès qui en sortiront dépendra en grande partie l’avenir de la Péninsule. Jusque-là, tout est ajourné ; le gouvernement n’a qu’un but à poursuivre : il faut qu’il vive, et plus de deux mois encore ; c’est beaucoup quand il faut vivre entre une réaction que le sentiment public peut précipiter et la lutte désespérée de tous les élémens révolutionnaires, ranimés tout à coup par les derniers événemens.