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distinguer les mouvemens antérieurs en Espagne, en Portugal et en Italie. La seule différence consiste dans le surcroît de complications et d’embarras résultant de ce qu’elle se trouve associée aux déplorables effets d’un autre système de gouvernement bien détestable aussi, sous la haine duquel elle cherche à cacher ses véritables projets pour exciter l’intérêt en sa faveur et atteindre ainsi son but final. — En un mot, il est impossible que l’empereur ne voie pas que la source de ce torrent révolutionnaire est en Grèce, que le flot déborde sur ses provinces méridionales par un courant presque continu et non interrompu depuis l’autre rive de l’Atlantique, et c’est sur ce principe, et non pas sur des vues de politique locale, que sa majesté, je n’en doute pas, règlera sa conduite en véritable homme d’état. — Je ne dirai pas ce que le gouvernement britannique ferait en pareil cas, parce que le principe d’après lequel nous devons toujours agir comme état est celui de la non-intervention poussée même à l’extrême, mais je suis bien sûr que si ce qui se passe maintenant en Grèce, notamment en Morée, sous la conduite d’aventuriers étrangers, était arrivé dans tout autre pays limitrophe de la Russie, l’empereur n’aurait pas attendu jusqu’à ce moment pour agir comme à Laybach, et aucune querelle particulière avec les Turcs ne l’aurait fait hésiter à s’opposer avec autorité, dès le premier moment, à l’ennemi commun et le plus formidable.

« Si je suis fondé à regarder le mouvement révolutionnaire en Grèce comme le véritable danger, si toutes les questions entre la Russie et la Turquie doivent en réalité être considérées, au moins pour le moment, comme secondaires et absorbées en quelque sorte dans l’importance de la question principale, quelle ligne de conduite l’empereur doit-il suivre dans sa sagesse ? J’ai dit tout à l’heure qu’en tout autre cas l’empereur se serait décidé, et que, s’il eût été nécessaire, il aurait pris en main, contre les Grecs, la cause de l’autorité légitime du pays.— Dans le cas actuel, c’est plus qu’on ne peut attendre ou conseiller ; une armée russe ne pourrait d’ailleurs pénétrer en Turquie pour y combattre la révolution sans s’y trouver engagée tout à la fois dans des hostilités contre les Turcs et contre les Grecs. Si donc l’empereur, dans ce cas spécial, ne peut réprimer le mal par ses propres moyens, c’est un motif de plus pour sa majesté de ne pas s’interposer à l’effet d’empêcher le gouvernement ottoman d’éteindre la révolte qui menace la tranquillité générale non moins que sa propre autorité comme gouvernement. — En considérant les tendances relatives des parties contendantes, quelles que puissent être les vues de la Turquie, elles sont au moins exemptes du danger révolutionnaire. La cause des Grecs en est profondément et inévitablement imprégnée, et il est impossible, au moins en ce moment, de l’en dégager. Je me permets donc de dire que l’empereur de Russie doit la désavouer comme étant devenue essentiellement révolutionnaire. Sa majesté impériale doit plutôt favoriser que contrarier les efforts du gouvernement ottoman pour étouffer l’insurrection, et elle doit regarder ses différends avec la Porte comme n’ayant qu’une importance secondaire au moins jusqu’à la destruction de cette révolte. Alors seulement l’empereur pourra sans danger entrer en compte avec la Turquie, parce qu’alors, sans encourager les principes révolutionnaires, il pourra obtenir le redressement de ses griefs et