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difficile, parce plus qu’aucune autre encore elle doit commencer par les meilleurs modèles et par les plus purs, parce que pour concourir à cette éducation tous les arts doivent se soumettre à une discipline sévère. Il y faut dans l’architecture la simplicité et la grandeur, rien de capricieux ou de mesquin, rien de tourmenté, rien non plus qui sente les mœurs d’un peuple qui aime à vivre retiré et caché, rien qui tourne aux petits appartemens voluptueux du XVIIIe siècle ou aux boites élégantes et artistement meublées qui sont les maisons du XIXe. Il y faut dans la sculpture la simplicité et la beauté de l’expression humaine, et non la contorsion du plaisir ou de la douleur, — dans la peinture la physionomie sans grimace et la vérité sans laideur. Il faut de plus le goût et l’instinct général des arts ; il faut que les arts soient le plaisir du public, et non pas seulement celui de l’élite : voilà à quelles conditions ils peuvent servir à l’éducation de la jeunesse, conditions peu comprises de nos jours. En effet nous prenons l’art au point où nous le trouvons, sans nous inquiéter de rechercher ses plus parfaits modèles ; nous commençons par la peinture au lieu de commencer par l’architecture et par la sculpture, beaucoup même commencent par la lithographie et s’en tiennent là ; nous ne semblons pas enfin nous douter qu’il y ait un ordre et une méthode à suivre dans l’étude de l’art. Aussi l’art reste étranger à l’éducation, et c’est beaucoup même s’il ne corrompt pas la jeunesse au lieu de lui inspirer le goût du beau et du grand, au lieu d’élever et de régler l’âme, ce qui est, selon Platon, le propre de la musique, c’est-à-dire de la littérature et des beaux-arts.

Les arts chez les anciens ont pour but de tempérer et d’adoucir les passions humaines ; chez les modernes, il semble au contraire que le mérite des arts soit d’exciter les passions. La beauté de l’art antique tient à la sérénité ; la beauté de l’art moderne tient à la vivacité et souvent même à la violence de l’expression. Ce que la règle chrétienne dit à l’âme : « Que ceux qui pleurent soient comme ne pleurant point, et ceux qui se réjouissent comme ne se réjouissant pas[1], » les philosophes anciens semblaient le dire à l’art, qu’ils chargeaient d’apprendre aux passions humaines comment il faut qu’elles se modèrent et se contiennent, et pour cela l’art les représentait modérées et maîtresses de leur attitude et de leur langage, soit dans la sculpture, soit dans la littérature. Ce n’est pas seulement Aristote qui veut que l’art purge les passions au théâtre. Ce soin de régler les passions par l’art et de trouver la morale dans la musique, entendue comme le veut Platon, est le souci commun de la philosophie ancienne.

  1. Saint Paul, première Epître aux Corinthiens, ch. VII, vers. 92.