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est justement le contraire de ce qu’on avait l’habitude de nommer jusqu’à présent piété et crainte de Dieu. Le plus conséquent de ces enfans terribles de la philosophie, notre moderne Porphyrius, qui porte tellement le nom de Fleuve de feu (Feuerbach), proclama, de conçu avec ses amis, le plus radical athéisme comme le dernier mot de notre métaphysique. Avec une frénésie de bacchantes, ces zélateurs impies arrachèrent le voile bleu du ciel allemand en s’écriant : Voyez, toutes les divinités se sont enfuies, et là haut ne réside plus qu’une vieille femme aux mains de fer et au cœur désolé : la Nécessité !

Ah ! ce qui semblait naguère si étrange se prêche maintenant sur tous les toits au-delà du Rhin, et l’ardeur fanatique de beaucoup de ces prédicans est épouvantable. Nous avons maintenant des moines de l’impiété, des Torquemada de l’athéisme, qui feraient brûler M. de Voltaire, parce qu’au fond du cœur le seigneur de Ferney n’était qu’un déiste endurci. Tant que de semblables doctrines étaient restées le privilège secret d’une aristocratie de gens lettrés ou d’hommes d’esprit, et qu’elles se discutaient en un langage de coterie savante que n’entendaient pas les domestiques placés derrière nous pour nous servir, pendant que nous blasphémions dans nos petits soupers philosophiques, — tant qu’il en était ainsi, j’appartenais, moi aussi, à ces frivoles esprits forts dont la plupart ressemblaient aux grands seigneurs libéraux qui avant la révolution cherchaient à désennuyer leur monotone vie de cour par le charme des nouvelles idées subversives. Mais quand je m’aperçus que le populaire se prenait également à discuter les mêmes thèmes dans ses symposiums crapuleux où la chandelle et le quinquet remplaçaient les bougies et les girandoles, quand l’athéisme commença à sentir le suif, l’eau de vie de schnaps et le tabac, — alors mes yeux se dessillèrent, je compris par les nausées du dégoût ce que je n’avais pu comprendre par la raison, et je fis mes adieux à l’athéisme.

À vrai dire, ce n’était pas seulement le dégoût qui me fit reculer et me poussa à déserter les opinions irréligieuses. La peur y était pour quelque chose, car j’avais vu l’athéisme former une alliance plus ou moins occulte avec le socialisme le plus avancé, ou, pour laisser de côté toute hypocrisie de dénomination, avec le communisme. Cette peur n’était pas celle d’un richard qui tremble pour ses capiteux, mais bien la terreur secrète de l’artiste, et du savant qui voit menacé,, avec notre civilisation, tout le fruit d’un labeur de trois siècles et le véritable élément de notre vie moderne. Or cette civilisation sera détruite par les communistes, et quoiqu’on théorie un généreux entraînement puis se me porter à sacrifier les intérêts de l’artiste et du savant aux besoins des masses soutirantes, déshéritées et exploitées, néanmoins dans le domaine des faits j’ai horreur de tout ce