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dévoilé le jour où il n’y aura plus, selon la prédiction du prophète, qu’un seul berger et un seul troupeau, et où le juste qui a souffert pour le salut de l’humanité recevra sa palme glorieuse.

On le voit, moi qui avais autrefois l’habitude de citer Homère, je cite maintenant la Bible comme l’oncle Tom. En effet, je dois beaucoup à ce saint livre. Il a réveillé en moi, comme je l’ai dit plus haut, le sentiment religieux. Cette renaissance du sentiment religieux peut suffire au poète, qui est peut-être plus que d’autres mortels en état de se passer de dogmes positifs, car lui, le poète, possède la grâce, et devant son esprit se dévoilent tous les symboles et s’ouvrent toutes les portes du ciel et de la terre ; il n’a besoin d’aucune clé d’église. Sous ce rapport, les bruits les plus contradictoires et les plus insensés se sont répandus dans ces derniers temps sur le compte du poète qui vient de faire cet aveu. Des hommes très charitables, mais non pas très sagaces, de l’Allemagne protestante m’ont demandé avec instance si la religion évangélique luthérienne, que j’avais professée jusqu’alors avec une tiédeur peu édifiante, avait trouvé en moi une sympathie plus grande maintenant que j’étais devenu malade et pieux. Non, mes chers amis : à cet égard aucun changement ne s’est opéré en moi, et si je continue d’appartenir pour ainsi dire officiellement à la croyance protestante et évangélique, c’est parce qu’elle ne me gêne pas du tout, comme elle ne me gênait pas trop non plus autrefois. Il est vrai et je le confesse sincèrement, lorsque je me trouvai en Prusse et surtout à Berlin, j’aurais volontiers renoncé définitivement, comme beaucoup de mes amis, à tout lien d’église, quel qu’il fut ; et si je ne l’ai pas fait, c’est uniquement parce que les autorités du pays défendaient le séjour de la Prusse, celui de Berlin surtout, à quiconque n’était pas membre d’une des religions positives reconnues et privilégiées par l’état. Comme Henri IV, de goguenarde mémoire, avait dit jadis : « Paris vaut bien une messe, » je pouvais bien dire à mon tour : « Berlin vaut bien un prêche ! » et je pouvais comme auparavant subir gaiement ce christianisme éclairé, filtré et épuré de toute superstition qu’on débitait alors dans les églises de Berlin, et où la divinité du Christ n’était pas même de rigueur, de sorte qu’on pouvait s’en passer, comme on peut se passer de tortue dans une soupe à la tortue ; c’était simple affaire de goût. À cette époque j’étais encore moi-même un dieu, et aucune des religions positives n’avait pour moi plus de prix que les autres ; je pouvais par courtoisie porter l’uniforme de telle ou telle religion, de même que peut-être l’empereur de Russie se travestit en officier de la garde prussienne, quand il fait au roi de Prusse l’honneur d’assister à une grande parade à Potsdam.

Maintenant que, par le réveil de mes sentimens religieux ainsi que