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ceux-ci, après l’écoulement d’un certain laps de temps, celui qui était de fait possesseur d’un bien ne pouvait plus être forcé à le restituer au propriétaire légitime, si ce dernier n’était pas à même de prouver que pendant ce temps déterminé il en avait exigé la restitution en due forme. Cette condition laissait libre jeu à la chicane, surtout dans un état où fleurissaient le despotisme et la jurisprudence, et où le possesseur injuste et riche avait à sa disposition tous les moyens d’intimidation, principalement vis-à-vis du pauvre, qui ne pouvait pas acheter de témoins et faire face aux exigences de la procédure. Le Romain était à la fois soldat et jurisconsulte, et il savait légaliser par la faconde et les ruses du barreau le butin qu’il avait conquis avec l’épée. Il n’y avait qu’un peuple de brigands sans pitié et d’avocats casuistes qui fût capable d’inventer la prescription et de la consacrer dans ce livre inique et impie, le code civil du droit romain, qu’on serait tenté d’appeler la bible de Satan.

J’ai parlé tout à l’heure de la parenté morale, de l’affinité élective qui existe entre les Juifs et les Germains, et sous ce rapport je note ici, comme un trait remarquable, la juste répugnance avec laquelle le vieux droit germanique stigmatise la prescription. Dans la bouche du paysan bas-saxon vit encore de nos jours ce bel et touchant dicton : « Cent ans d’injustice ne font pas un an de droit. » La législation de Moïse protesta d’une manière encore plus décidée contre cette abominable loi de la prescription en instituant le jubilé. Moïse ne voulait pas abolir la propriété : il voulait plutôt que chacun possédât, afin que personne ne devint par la pauvreté un valet, un serf, avec des sentimens serviles. La liberté fut toujours la pensée fondamentale de ce grand libérateur, et c’est cette pensée qui respire et brûle dans toutes ses lois concernant le paupérisme. Il haïssait l’esclavage presque avec fureur, mais il ne pouvait pas anéantir complètement cette monstruosité par trop enracinée dans la vie domestique de cet âge primitif, et il devait borner ses efforts à adoucir légalement le sort des esclaves, à leur faciliter le rachat et à restreindre la durée du service. Mais lorsqu’un esclave que la loi affranchissait enfin ne voulait absolument pas quitter la maison de son maître, alors, d’après la loi de Moïse, ce gueux d’un servilisme incorrigible était cloué par l’oreille à la porte de l’habitation du maître, et après cette exposition ignominieuse, l’esclave était légalement condamné à servir tout le reste de sa vie. O Moïse ! grand émancipateur, vaillant rabbin de la liberté, adversaire terrible de toute servitude, tends-moi ton marteau et tes clous, afin que j’applique ta loi à cette valetaille sentimentale, à ces laquais à la livrée noire, rouge et or qui chantent les délices de l’esclavage ; — c’est par leurs longues