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Pourquoi donc la génération nouvelle s’obstine-t-elle dans l’improvisation ? La réponse n’est pas difficile à trouver : paresse et vanité, c’est là tout le secret de ce fol entêtement. C’est pourquoi il ne faut pas se lasser d’appeler l’attention et la sympathie sur les œuvres enfantées par un travail persévérant. Si la génération nouvelle veut laisser après elle quelques noms glorieux, il faut qu’elle se résigne à profiter de la leçon. Elle aura beau s’adorer, s’enivrer d’encens, elle n’arrivera jamais à la fécondité en supprimant le travail.

Une chose très importante à connaître serait le procédé suivi par M. Prosper Mérimée pour atteindre à la simplicité qui nous charme et nous émeut dans tous ses ouvrages, et donne tant de prix à Colomba. Je ne me charge pas de le deviner, je pourrais me perdre en de vaines conjectures. Ce qui me paraît évident toutefois, ce qui n’a pas besoin d’être démontré, c’est que l’auteur de Colomba ne se croit pas obligé de respecter la première forme de sa pensée. Quand il a dit ce qu’il veut dire, il ne s’interdit pas de chercher pour l’idée qu’il vient d’exprimer, pour le sentiment qu’il vient de peindre, un contour plus précis, une couleur plus vive ; en un mot, je crois qu’il ne recule pas devant les ratures, mais cette croyance ne signifie pas grand’chose en face de la question que j’ai posée. Qu’il efface et corrige ce qu’il vient d’écrire jusqu’à ce qu’il ait trouvé l’expression précise, ce n’est là qu’un détail qui ne se rapporte qu’à la dernière partie de sa tâche. Ce qu’il nous importerait de connaître, ce serait sa manière de concevoir et de composer, et lui seul pourrait nous la révéler. Toutes les idées que nous pourrions hasarder sur ce sujet, faute de contrôle, ne mériteraient aucune confiance.

Il est facile de comprendre pourquoi la popularité de Colomba n’a pas vieilli. Comme le succès de ce beau livre n’avait rien à démêler avec la mode, il n’avait rien à redouter de l’inconstance de goût de la foule. Le caractère de Colomba sera toujours un sujet d’étude pour les penseurs, un objet d’émulation pour les écrivains. Pour se dispenser de la lutte, quelques esprits malheureux se réfugient dans le dénigrement, ils ne voient, ou plutôt ils ne veulent voir dans Coltomba qu’une histoire vulgaire racontée sèchement. Il est vrai qu’ils ne convertissent personne à leur opinion, et ne réussissent pas même à démontrer leur sincérité. Ils ont beau se révolter contre l’incrédulité de leurs auditeurs, personne n’ajoute foi à l’ennui dont ils se plaignent. Quant à moi, je n’essaierai pas de les ramener dans la voie de la franchise. Il ne s’agit pas de les détromper, puisqu’ils savent à quoi s’en tenir sur le mérite de Colomba. Le blâme qu’ils prodiguent à cette œuvre si solidement construite, ornée avec tant de sobriété, est sans action sur l’opinion publique, et nous pouvons les laisser déclamer tout à leur aise.