Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/1234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mignardise se donne pour la grâce et la gaieté, et je n’arrive pas à résoudre ce difficile problème. Ce n’est ni le même homme ni le même style. Au lieu d’un écrivain habile, déguisant son art à force de simplicité, je ne trouve plus qu’un homme du monde s’évertuant à se montrer frivole, se complaisant dans les bijoux et les chiffons. Ce n’est pas là une métamorphose qui montre la souplesse du talent, c’est une véritable abdication. Il est probable que ces dernières pages ont obtenu dans quelques salons un immense succès. Ce que j’appelle mignardise et mièvrerie s’appelle dans le monde élégance, urbanité, fine raillerie. Je n’essaierai pas de détromper les esprits frivoles, qui n’ont jamais compris la vraie grandeur, la vraie beauté. J’ai la ferme confiance que tous les hommes éclairés, habitués à penser par eux-mêmes, à ne pas jurer sur la parole d’autrui, ont été désappointés en lisant les dernières pages dont je viens de parler. La mignardise et l’afféterie qui les déparent sont d’autant plus à regretter, que les premières pages sont au nombre des plus belles, sinon les plus belles, que M. Prosper Mérimée ait jamais écrites. Les défauts que je signale nous étonnent à bon droit dans un écrivain doué d’un goût si sûr.

L’auteur de Colomba se trouvait naturellement appelé sur le domaine de l’histoire par la nature même de son talent. Son amour constant pour la précision, pour la réalité, la sobriété constante de son style, lui désignaient l’histoire comme un but qu’il devait facilement toucher. Le dirai-je pourtant ? Il n’a pas réalisé toutes nos espérances en abordant ce genre nouveau ; il ne paraît pas en avoir compris toutes les exigences. Chose étrange, et qui surprendra bien des esprits, M. Prosper Mérimée, le conteur par excellence de notre littérature contemporaine, semble avoir oublié, en abordant l’histoire, le caractère spécial de son talent. Il a touché tour à tour à l’Espagne, à la Russie, à l’Italie antique, et dans chacune de ces tentatives il a sacrifié à peu près constamment la narration à l’érudition. Cependant chacune de ces tentatives mérite une attention sérieuse, car il est toujours curieux de voir un esprit de premier ordre aux prises avec un genre qui n’a pas occupé les premières années de sa vie. Bien qu’il ait négligé l’art pour la science, et de sa part on ne devait pas craindre un tel abandon, le sillon qu’il a tracé sur le terrain du passé ne peut être oublié. Son histoire des Faux Démétrius est très loin de valoir les scènes historiques dont j’ai parlé tout à l’heure. Son amour pour la précision, pour l’exactitude des faits, l’a retenu dans des limites beaucoup trop étroites. Autant les scènes historiques empruntées aux premières années du faux Démétrius sont vivantes et pathétiques, autant le récit de ces faits et de quelques faits analogues qui se rapportent à la même imposture nous laisse